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Son but ? Faire des adaptations à succès de jeux vidéo comme Assassin's Creed ou Splinter Cell. Jean-Julien Baronnet, PDG d'Ubisoft Motion Pictures, nous dévoile sa recette pour conquérir Hollywood. Pas si simple.

Vous avez longtemps dirigé Europacorp. Quelle différence y a-t-il entre être à la tête d’une maison établie et d’un challenger comme Ubisoft Motion Pictures, fondé il y a quatre ans ?

La différence entre Europa et Ubisoft, c’est qu’Europa est une formidable société, avec un fondateur qui est un réalisateur incroyable (Luc Besson, NDLR). Avec une logique de production géniale parce qu’elle tient compte des racines françaises et en même temps s’inspire des règles hollywoodiennes. C’est une machine bien huilée qui est en train d’aller encore plus loin dans l’internationalisation. Ubisoft, c’est totalement différent. C’est d’abord un pari stratégique important, parce qu'il s'agit d'une entreprise qui est bien sûr est dans le jeu, mais qui a su bâtir des franchises énormes. Et la question de base d’Ubisoft Motion Pictures est de savoir si on peut alimenter la stratégie 360 degrés, avec laquelle de ces marques, on ne fait pas seulement des jeux mais aussi des films, des séries, des parcs d’attractions, des bandes dessinées…

Ensuite, on veut essayer de prouver que les adaptations de jeux vidéo au cinéma peuvent être des projets de qualité. Jusqu’à maintenant, c’était des achats de licences - donc des studios qui ne connaissaient pas bien la culture et l’ADN du jeu - et ça frustrait les fans. Ou alors des sociétés de jeux qui pensaient que parce qu’elles savaient fabriquer des jeux, elles savaient fabriquer des films. Or ce n’est pas la même chose. En prenant l’initiative de créer cette structure dédiée au cinéma - avec uniquement des gens de cinéma - on veut montrer qu’on a la proximité avec les joueurs et le savoir-faire spécifique qui nous permet de le produire. C’est pour ça que le contrôle créatif est essentiel pour nous. Nous avons un contrôle créatif tel que nous choisissons les acteurs principaux, les réalisateurs, le budget, le scénario… C’est un package que nous présentons et les studios le prennent ou pas. Mais un montant aura tout de même été payé. Nous avons aussi le final cut, même si nous ne finançons pas majoritairement le film. On préférait ne pas faire de film plutôt que ne pas avoir ce contrôle créatif. Bien entendu, on travaille de façon étroite avec les studios. Ils ont un savoir-faire incroyablement fort sur la production. Mais c’est un garde-fou. Si jamais il y avait un dérapage qui amènerait le film vers une direction qui ne nous convient pas, on peut mettre un veto. Et c’est dans l’histoire d’Ubisoft d’aimer changer les règles du jeu et on a envie de faire ça aussi dans le cinéma. Généralement à Hollywood, quand vous développez un gros film, vous démarrez par un scénario ou un studio… On n’a pas fait ça. On s’est dit : "Pour chacun des films, quelle est la première décision qu’il faut qu’on prenne ?" Pour Assassin’s Creed, il était évident que la première décision était le choix de l’acteur. Qui est derrière l’assassin, qui va le personnifier ? Pour Splinter Cell, même chose : qui va être Sam Fisher ? L’obsession que nous avions était de trouver des acteurs parmi les meilleurs, si ce n’est les meilleurs. Qui aient fait leurs preuves dans le cinéma indépendant. 

Brendan Gleeson et Jeremy Irons rejoignent Michael Fassbender au casting d'Assassin's Creed

Parce que c’est un gage de qualité pour vous, le cinéma indépendant ?

Oui, parce qu’il y a une exigence dans ce cinéma. Qui peut d’ailleurs exister aussi dans le mainstream, mais qui me semble plus systématique dans l’indépendant. Mais en même temps on ne voulait pas qu’ils soient trop indie. Donc on travaille aussi avec des gens qui ont eu une expérience grand public. Michael Fassbender a été une évidence, à la fois par sa façon de jouer et son look. Et quand on l’a rencontré, il a adhéré immédiatement à notre univers. C’est un type qui fait Hunger, Shame, 12 Years A Slave et aussi X-Men et Prometheus. Pareil pour Tom Hardy : il fait Mad Max, The Dark Knight Rises et en parallèle Locke ou Bronson, des films incroyables. Le meilleur des deux mondes. 

Comment arrive-t-on à convaincre un acteur comme Fassbender de s’engager sur un projet sans savoir ce qu’il sera exactement ? 

Il a accepté très vite. Et c’était le seul acteur auquel on a pensé, c’était une évidence. Donc on a démarré par l’acteur, ce qui est incongru. Encore plus incongru, il s’est engagé avec nous sans rien. Il n’y avait pas de scénario, pas de studio, rien. On lui a dit qu’on allait bâtir le projet ensemble, qu’on a une énorme marque et qu’on veut en faire un faire un film avec pour références des longs-métrages comme Batman Begins ou Blade Runner. C'est vers cela qu'on tend. On lui a promis qu’il pourrait travailler avec les scénaristes, qu’on allait l’associer à tous les choix créatifs clés. C’est évidemment attrayant pour des acteurs intelligents comme Michael Fassbender ou Tom Hardy. On est comme un énorme studio parce qu’on a d’énormes marques, mais on est une petite structure. Et on restera comme ça, on n’a pas envie de devenir plus gros. Tom Hardy était aussi une évidence sur Splinter Cell. Nous avons eu la même discussion et il s’est aussi engagé tout de suite. Tom est un gamer et il adore l’univers de Splinter Cell. On a beaucoup travaillé avec lui sur le personnage. 

Et pour chacun de vos films, vous comptez embaucher l’acteur d’abord ?

Sur Watch Dogs ou Ghost Recon, l’approche est sur le scénario d’abord, contrairement à Assassin’s Creed ou Splinter Cell. Parce que l'iconicité du personnage est moins essentielle. Watch Dogs n’a qu’un an et on n'est pas sûr de vouloir garder ce héros (dans le jeu, on incarne Aiden Pearce, un hacker surdoué, NDLR). Il n’est pas essentiel comme Sam Fisher l’est. Ce sera un film sur les hackers et la liberté, ce qu’on est prêt à laisser tomber de notre liberté pour notre confort. Ça doit passer par le script. On verra ensuite si on s’oriente vers un réalisateur ou un acteur. Ghost Recon, c’est une équipe de quatre personnages qui varie. On s’est dit qu’il fallait d’abord créer une différence sur le scénario, parce que des films de guerre il y en a des tonnes. Et je crois qu’on a trouvé un axe très intéressant. 

Vous arrivez sur le terrain surchargé du blockbuster pour adolescents et jeunes adultes. Qu’est-ce qui va vous différencier ?

On est très engagé dans le développement de nos franchises et dans le respect de leurs valeurs, pour faire des films de contenu mais pour le grand public. Et c’est cette combinaison des deux qui selon moi fait la différence. Avec des choix peut-être audacieux au niveau des acteurs, des réalisateurs. On prendra des risques créatifs. 

Assassin's Creed, Warcraft, The Last of Us... Le jeu vidéo a-t-il enfin un avenir au cinéma ?

Comment se passe le développement d’un film chez vous ?

Notre approche est rester maître du développement, donc de le financer à 100 %. On choisit des scénaristes qui ne sont pas forcément des stars mais des gens qui ont bien compris l’univers. Et tant que le scénario n’est pas au niveau, on ne se lance pas. On a également travaillé très étroitement avec New Regency pour Assassin’s Creed. On avait besoin d’eux, de leur savoir-faire. Il y a eu une sorte de triptyque entre l’acteur, le studio et nous. C’est la combinaison des trois qui a bâti ce scénario. Avec un arbitrage qui nous revenait, comme nous finançons. La beauté d’être une petite structure, c’est qu’on n’a pas les contingences qui nous poussent à sortir des films, à greenlighter au plus vite. On laisse le temps au temps pour arriver à ce qu’il faut. Quatre ans de développement pour Assassin ! Bon c’est un énorme film hein, je ne peux pas donner officiellement le budget mais c’est balèze… 

Proche de 150 - 200 millions de dollars ?

Je ne dirai pas qu’on est proche de 200 mais pas loin de 200 non plus. On peut dire qu’on est entre les deux et un peu au-dessus même !  

Pourquoi avoir fait le choix d’un réalisateur peu expérimenté, du moins au moment où vous l’avez embauché ?

Ubisoft adore faire des paris artistiques et sur Assassin’s Creed c’est le cas. Quand on a choisi Justin Kurzel, il n’avait fait qu’un film, Les Crimes de Snowtown. C’est Fassbender qui nous a dirigé vers lui. Et des prétendants pour réaliser le film, il y en avait, et des réalisateurs très bankables. Il a été nommé à Cannes après. 

Comment sait-on qu’un jeune réalisateur peut tenir un film à gros budget comme celui-ci sans céder sous la pression ?

Je crois que c’est l’instinct de producteur qui parle. Et on a fait notre enquête auprès des gens qui ont travaillé avec lui. Tous ont trouvé que c’était un incroyable directeur d’acteurs. Ça aide. Il ne faut pas oublier qu’il travaille avec son directeur de la photo Adam Arkapaw, qui est quand même celui qui a fait Macbeth mais aussi toute la première saison de True Detective. Ensuite, quand je l’ai rencontré, Justin avait une vraie vision de l’univers d’Assassin et le langage cinématographique qu’il voulait y mettre était très fort et adapté à la licence. C’est-à-dire une image extrêmement iconique mais quelque chose de très réaliste aussi. Dans sa façon "d’écrire" le film, il y a la combinaison des deux. Quand j’ai présenté les scénaristes à Justin, au bout de trente minutes, c’était lui qui dirigeait et il était reconnu par tous, y compris par moi. Et il le fait avec beaucoup d’humilité et de fermeté. Il sait où il va mais il n’est pas du genre à hurler, il impose sa vision plus subtilement. Quand vous choisissez un réalisateur, vous choisissez aussi un leader. Et puis on l’a entouré d’une équipe forte, avec les producteurs Frank Marshall et Patrick Crowley, qui ont notamment fait Jurassic World. On les a pris parce qu’ils ont l’habitude de travailler avec de jeunes réalisateurs sur de gros films. 

C’est une tendance à Hollywood de mettre des réalisateurs qui n’ont pas fait beaucoup de films à la tête d’énormes projets. Vous auriez pu choisir n’importe quel metteur en scène déjà installé à la place. 

Assassin étant un univers extrêmement riche, nous avions besoin de quelqu’un qui pourrait faire passer les messages clés, qui puisse diriger des acteurs extrêmement talentueux mais en même temps très exigeants. Justin n’est pas tellement un jeune réalisateur, il a déjà de l’expérience, sait faire passer des messages forts et comprend l’univers de la franchise. Mais ce n’est pas pour suivre la mode d’Hollywood qu’on fait ça. Si on avait jugé qu’un réalisateur plus confirmé aurait mieux fait le job, on l’aurait pris. Ce qu'on veut, c’est d’embaucher des gens qui ont une certaine sensibilité et cette jeunesse. Après on travaille avec Warner sur l’adaptation de Ghost Recon, Michael Bay est producteur et va peut-être réaliser. On ne peut pas dire que ce soit un jeune perdreau de l’année ! On peut s’adapter. Et en même temps on bosse actuellement sur Splinter Cell avec Tom Hardy, on réfléchit à de jeunes réalisateurs qu’on n’a pas du tout l’habitude de voir sur ce type de films. 

Michael Bay a vraiment envie de réaliser Ghost Recon ?

Oui. Maintenant est-ce qu’il va le faire avec Transformers… Et puis nous on veut sortir le film !  

J’imagine que l'dée est de créer une franchise Assassin’s Creed au cinéma. Est-ce que vous pensez éventuellement à changer d’acteur à chaque film comme on change de personnage à chaque jeu ou presque ?

Nous sommes des gens très fidèles. On serait très heureux de continuer avec Michael Fassbender. Maintenant il faut qu’il le veuille. En tout cas il s’est beaucoup investi et l'est toujours, dans le scénario comme avec le réalisateur. On a envie de faire un bout de chemin ensemble. 

Au fond quel est votre but : vendre des jeux vidéo ou des films ?

Ubisoft a créé des marques pour le jeu vidéo et considère qu'elle peuvent être valorisées dans d’autres domaines. On passerait de la logique d’être une entreprise de jeu à celle d’être une entreprise d’entertainement. On est assez fier puisqu'il y a quatre ans on n’existait pas, on n’avait jamais produit de série TV. Ne ne sommes pas la branche armée merchandising d’Ubisoft, qui permettrait de vendre un peu plus de produits dérivés. Sinon je ne serais pas venu. C’est pour ça que les choix artistiques et de lancement de films ne sont pas faits en regard du plan marketing et promotionnel des jeux. Chacun a sa logique. Après bien sûr, si on peut jouer sur des synergies marketing, on le fera. Mais ce n’est pas l’objectif principal, sinon on va se planter. 

Vous parliez tout à l’heure de références comme Batman Begins ou Blade Runner, vous n’avez donc pas peur de faire des films sombres, à une époque où le blockbuster n’en produit plus beaucoup ?

C’est un danger sur lequel on aurait pu tomber. Et on ne peut pas dire que la filmographie de Justin est extrêmement légère ! New Regency a été extrêmement utile là-dessus puisqu’ils nous ont dit qu’il ne fallait pas oublier qu’on est là pour faire du fun. On veut que ce soit un film bien entendu de fond, mais qu’on s’amuse aussi et qu’il y ait une légèreté. Par exemple au niveau des cascades, on ne sera pas du tout dans un film d’auteur ! On a pris les meilleurs, dont Dan Bradley en réalisateur seconde équipe, qui a fait les Bourne, Casino Royale, Skyfall… Dans le fun de l’action, il sait de quoi il parle. On va inventer de nouvelles chorégraphies et de façon de filmer les combats qui vont être totalement dans la marque mais qui n’ont jamais été vues.

Au cinéma comme dans le jeu ?

Oui, exactement. Au cinéma comme dans le jeu. Donc le fun sera visuel, parce qu’il n’y aura évidemment pas beaucoup de dialogues marrants. L’assassin n’est quand même pas un bout-en-train ! Notre grand pari, c’est qu’on travaille sur trois audiences : les fans de nos jeux, et il y en a quand même 95 millions ; les fans de cinéma mainstream qui vont voir Star Wars et Spider-Man ; et en parallèle on vise aussi une population qui ne penserait pas du tout aujourd’hui aller voir un film Assassin, qui aime les films indépendants. Et on espère pouvoir les faire venir parce qu’il y a ces acteurs et ces réalisateurs et également parce qu’il y a un message important : la liberté par rapport au contrôle. Jusqu’à quel point est-on prêt à se battre pour défendre l’indépendance et la liberté ? Et si à la limite, il y avait un moyen de créer moins de violence et de problèmes, qu’est-ce qu’on serait prêt à laisser tomber de notre liberté ? Ce sont de vrais messages actuels. Et en plus on a des références historiques, puisque c’est le principe d’Assassin (le héros peut en quelque sorte voyager dans le passé et incarner ses ancêtres via une machine appelée Animus, NDLR). Les religions et le fanatisme vont aussi être des sujets importants. On veut que le film face également écho à des valeurs et à une actualité forte. Sans que ce ne soit noir, chiant, pessimiste, verbeux...  

Vous semblez vouloir toucher toutes les cibles, ce n’est pas un peu dangereux ?

Ça peut être dangereux, mais l’idée est d’embrasser complètement ce qu’est la marque Assassin et je crois que ce qu’elle est touche tous les publics. C’est-à-dire des super jumps, le saut de la foi, des combats incroyables, mais aussi la possibilité de rencontrer des hommes remarquables. Dans les jeux on fait la connaissance de George Washington, Leonard de Vinci… On apprend sur l’Histoire. 

Il y a aura cet aspect dans le film ?

Oui. On va apprendre des choses. Sur l’Inquisition, sur Torquemada… Bien sûr. Parce qu’on a cette vocation là. C’est très ambitieux mais on a envie de répondre à ça, parce qu’on pense que c’est servir la marque au mieux. 

Pensez-vous que les adaptations de jeux vidéo vont devenir la nouvelle mine d’or d’Hollywood, comme super-héros le sont actuellement ?

Je crois que les studios recherchent aujourd’hui de grosses franchises et que les jeux vidéo les amènent. Mais dans le passé, les adaptations de jeux vidéo n’ont pas toujours été concluantes. Donc c’est compliqué. On y croit, sinon on ne le ferait pas. Mais je pense qu’il y a un attachement au jeu vidéo qui existe moins avec un comic book.  

Je ne suis vraiment pas sûr de ça… Quand on voit comme les fans hurlent au moindre changement dans les films de super-héros.

Un comic book, vous ne passez pas 60 heures dessus. Sur un jeu oui. En plus c’est un gros investissement financier. Et un comic book on ne le lit pas à plusieurs. Il y a une sorte d’attachement affectif qui fait que les gamers sont très sensibles. Si vous faites une adaptation de film qui les trahit, ils sont vite dans le rejet. Vous faites un mauvais Batman, bon… Est-ce que ça va impacter la marque Batman ou le nombre de comics vendus ? Je n’en suis pas sûr. Ce qu’il faut, c’est qu’on respecte les fans et ça veut dire un gros travail de développement et de bons choix à faire. 

Ce qu’a fait Marvel Studios.

Marvel, c’est génial ce qu’ils ont fait. Ce sont les maîtres. En plus ils avaient des marques vieillissantes qu’ils ont réussi à rebooster. Marvel est mille fois plus fort que nous. Je dis juste que la différence est qu’il n’y avait peut-être pas un attachement si fort au départ, du moins pas chez autant de monde. On se doit de respecter les 95 millions de personnes qui jouent à nos jeux. 

Doug Liman et Tom Hardy offrent une seconde jeunesse à Sam Fisher dans le film Splinter Cell

Mais est-ce que vous vous placez en concurrence face à Marvel et consorts ? Vous voyez le jeu vidéo devenir aussi aussi fort que les super-héros ?

Je ne sais pas, parce que je ne pense pas que tous les jeux vidéo puissent être adaptés. Il faut qu’il y ait un univers et des personnages qui s’y prêtent. Donc bien sûr qu’on croit à l’avenir de l’adaptation des jeux vidéo au cinéma. Mais il faut les considérer avec précaution. On a beaucoup de marques qu’on n’a pas encore adaptées en films parce qu’on estime que ce n’est pas sûr. On n’a pas envie de se retrouver dans une situation où parce qu’on a une belle marque, on va faire un film. On veut être sûr qu’il y ait un sens à ce que cette marque là existe au cinéma ou en séries. Maintenant si ça fait sens et que ça marche bien, ça va être un levier incroyable. Je pense que pas mal de gens nous observent actuellement, pour savoir ce que ça va donner. 

Ressentez-vous une certaine peur vous attaquer à un marché vraiment saturé du blockbuster ?

Si on le fait en se disant que parce qu’on a une marque forte et donc que c’est gagné, on va se planter. Donc notre prétention est de faire un très bon film. Si c’est le cas, comme il y a la marque en plus, ça devrait le faire. Si on fait un film moyen, on risque d’être cannibalisé et que ça marche moyennement. La marque nous aide bien sûr parce qu’elle nous donne de la visibilité, mais elle est loin d’être un gage de succès. C’est pour ça qu’on passe énormément de temps sur le contenu et la qualité. C’est aussi pour cette raison qu’on ne fait pas de licensing. Sinon pourquoi on s'embêterait ? On vendrait ça à un studio et on gagnerait très bien notre vie. Mais on considère que c’est la qualité du film qui va faire la différence et la marque qui va pousser. La marque permet de lever des financements et d’attirer des talents. Mais c’est 15 % du chemin qui est fait. 

Certains jeux vidéo ont plus de cinéma en eux que pas mal de productions récentes. Comment répondez-vous à ça ?

L’univers est le point le plus important. On a déjà pris la position de dire qu’on n’adaptera jamais stricto sensu les histoires des jeux en films. La différence entre un joueur et un spectateur, c’est que le joueur est le scénariste, l’acteur et le réalisateur. Mais il évolue dans un univers. Dans le film, vous êtes spectateur. Vous vous attendez à ce qu’il y ait un acteur et un réalisateur. Donc on doit retrouver cette magie qu'éprouve le joueur, et on doit également intégrer les codes que le jeu peut avoir. Des codes de reconnaissance, de valeurs… Et on veut se servir de ça. Le saut de la foi (dans Assassin’s Creed, le joueur peut faire un saut les bras en croix depuis un bâtiment, pour atterrir dans une meule de foin, NDLR) est un code.  

Justement, avec des figures imposées comme le saut de la foi, il peut être compliqué d’éviter le clin d’oeil grossier au jeu vidéo. Ce qui est souvent reproché aux adaptations. Comment fait-on pour dépasser ça ?

En choisissant un bon réalisateur déjà ! Et il faut que ce soit fait d’une telle façon qu’il soit d’une part crédible - que ça ne fasse pas cheesy - et qu’il soit innovant. C’est pour ça qu’on travaille avec des pointures dans les cascades. Même chose pour l’Animus dans Assassin, il est intéressant de bosser sur quelque chose qui va surprendre les joueurs. Dans le jeu, on est beaucoup dans le passé, peu dans le présent. Évidemment que dans le film il y a aura du passé, mais également beaucoup de présent. Pour un long-métrage, il faut garder les principaux éléments de l’univers et ses codes. Ce qu’on amène, et ce qu’a souvent moins le jeu, ce sont les personnages et la structure, le scénario. Parce que dans un jeu vous allez où vous voulez. Vous avez une mission mais vous pouvez vous balader. On a fait un gros travail sur les personnages pour leur donner de l’épaisseur et comprendre leurs propres angoisses. Et il y a eu un dialogue continu avec les gens du jeu, qui étaient les garants de l’ADN mais n’intervenaient pas sur le scénario et les choix artistiques. Ils étaient là pour qu’on confronte nos idées et nous avertir si on imaginait des choses qui sortaient de la marque. Il y a eu une communion entre nous qui a été extrêmement porteuse.  

Le cinéma s’est lancé dans une course à l’expérience sensorielle, avec la 3D, l’IMAX, les sièges vibrants, le Dolby Atmos… Mais peine toujours à rivaliser face au jeu vidéo en terme d’immersion. 

Aujourd’hui, on se dit que la technologie ne peut être utilisable dans le cadre du récit qu’on a bâti que si elle vient le renforcer et l’aider. On ne veut pas faire de la technologie pour la technologie et sous prétexte que nous sommes une boîte de jeux, faire des choses en réalité virtuelle parce que ça fait chic de le faire. Mais si ça fait sens pour l’histoire du film, on le fera. Et il ne faut pas oublier qu’un film est un film et un jeu est un jeu. L’expérience ne peut pas être la même, et tant mieux. En revanche, on travaille sur tout un tas de projets, qui feraient un pont entre le film et le jeu. Qui ne seraient pas nécessairement dans le film, pas nécessairement dans le jeu, mais à côté. Je ne peux pas vous en dire plus.  

Qui seraient où, donc ? Quelque chose d’inédit ?

On aime bien réinventer les règles du jeu ! Donc oui, ce serait inédit. On a lancé les Lapins Crétins par exemple au Futuroscope, ça fait un carton. On fait de la 5D là-bas. C’est un tout petit début. Mais on travaille beaucoup sur la réalité virtuelle chez Ubisoft.  

Mais vous parlez de vrais "titres" ou d’expériences dans les univers des films et des jeux ?

Des expériences on va dire. De nouvelles expériences, qui font le pont.  

Que chacun pourra "consommer" chez soi ?

(Rires) On y reviendra en temps voulu.  

Le jeu vidéo, même parfois dans les plus gros titres, continue d’être un incroyable vivier de créativité. Est-ce que le blockbuster cinéma ne risque pas de formater le jeu vidéo en lui imposant ses codes ?

Qu’il y ait une influence réciproque positive, oui. Mais que le film impose des choses au jeu qui soient au détriment des joueurs, je n’y crois pas du tout. Parce que chacun à ses règles. Je pense qu’ils vont mutuellement s’enrichir dans leurs domaines d’expertise. Exemple : dans le film Assassin’s Creed, on va parler de la période contemporaine, ce qui pourra donner des idées aux développeurs, si ça fait sens. Et inversement, le prochain jeu va peut-être nous donner des idées pour le prochain film. On n’est pas du tout dans une relation de primus inter pares, on est dans deux univers qui sont proches mais différents, et dans lesquels on veut créer des ponts, parce qu’on est le même groupe. Tout ce qu’on veut, c’est satisfaire au mieux nos cibles respectives.  

Comment avez-vous eu l’idée de caster Marion Cotillard dans Assassin’s Creed ?

On a eu un brainstorming avec New Regency et sur les différentes actrices possibles, le nom de Marion Cotillard est venu très vite, des deux côtés. Elle était pour nous une actrice remarquable et comme en plus elle venait de tourner avec Fassbender (dans Macbeth, sous la direction de Justin Kurzel, NDLR) et qu’elle pouvait très bien coller à ce qu’on voulait de son personnage, c’était une évidence. Mais on n’a pas fait exprès de resservir le couvert avec les mêmes acteurs et le même réalisateur ! 

Quel sera son rôle ?

Je peux juste vous dire qu’on la verra plus dans le présent. 

C’est un rôle similaire à celui de Kristen Bell dans le premier jeu Assassin’s Creed ?

Je peux rien vous dire. 

Justement, avez-vous envisagé Kristen Bell comme actrice, vu qu’elle doublait un personnage important dans les jeux ?

Non. Du tout. Jamais. 

Assassin’s Creed a été repoussé, le développement a duré quatre ans. Le film a beaucoup évolué depuis le début ?

Entre le premier script et aujourd’hui, oui, il a beaucoup changé. Mais je ne sais pas si le développement a été long, parce que c’est un énorme budget. Assassin a été un développement compliqué, parce que vous travaillez sur deux périodes, une contemporaine et une historique. Avec deux héros, puisque vous avez Callum le héros actuel et Aguilar son ancêtre, qui ont deux histoires parallèles qui se rejoignent. Généralement dans un film, vous n’avez qu’un héros. Et avec le lien entre le passé et le présent, il ne fallait pas que l’une des histoires prenne le pas sur l’autre. Donc structurellement, c’était très compliqué. On n’était tout simplement pas prêts, pas contents. Ce qui est bien, c’est qu’on a jeté les bases des suites, s’il doit y en avoir. 

Comptez-vous à terme fusionner vos univers, comme c’est le cas chez Warner Bros ou Marvel ?

Je n’en sais rien. On veut y aller étape par étape et faire des films dont on est fier. Et s’ils sont bons, que ça fait sens, tout est possible. Mais ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant. 

Interview François Léger