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No escape de John Erick Dowdle
Le chef opérateur, Leo Hinstin, est le même que celui de Taj Mahal. La préparation artistique de Taj Mahal (qui a duré près de 6 mois, alors que le tournage s’est concentré sur 34 jours) a été un travail à 3 entre le chef-opérateur Léo, le responsable des effets spéciaux Hugues Namur et le chef décorateur Pascal Leguellec. Léo avait beaucoup appris sur No escape, qui en plus abordait des thématiques similaires à celles de Taj Mahal, mais avec un traitement totalement différent. J’ai très envie de le voir. J’ai  récemment rencontré Owen Wilson : on a beaucoup parlé du documentaire BBC Terror in Mumbai, une des références des deux frères (John Erick et Drew Dowdle) quand ils ont fait No escape ; et un de nos outils de travail sur Taj Mahal.

Nymphomaniac de Lars von Trier
Ce fut très émouvant de découvrir Stacy dans Nymphomaniac alors que mon choix avait déjà été fait : elle « attrape » la caméra.
C’est un très grand film, que j’aime beaucoup. Il a un lien très secret avec Eyes Wide Shut. Ils fonctionnent sur des équivalences : qu’est-ce que le sexe par rapport à l’amour ? Où commence l’un, où finit l’autre ? Et surtout en quoi le sexe participe aujourd’hui d’une imagerie générale qu’on doit rejeter complètement, apprivoiser, ou conditionner à nos pratiques sexuelles. Kubrick et Lars Von Trier en parlent très bien. L’idée de Taj Mahal, c’est de filmer la jeune fille, mais pas dans la définition classique du « cinéaste et de la jeune fille ». Ce qui m’intéressait, c’est de voir l’enfant devenir une jeune femme…

A bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson
Mon amitié avec Wes Anderson a été très importante pour Taj Mahal. Il y a aussi un lien parce que j’ai travaillé comme producteur exécutif sur Hotel Chevalier, le court métrage qui précède Darjeeling. J’ai posé beaucoup de questions à Wes sur les conditions de tournage en Inde, la difficulté ou pas de tourner à Bombay, les choses à prendre en compte dans le plan de travail etc... Il m’a beaucoup conseillé, mais pas seulement sur l’Inde. Pendant la préparation, Wes m’a prêté tous les storyboards de Grand Budapest Hotel. Je l’avais sollicité, pas pour des questions de style, mais plutôt de « fabricant à fabricant ». Il m’a beaucoup aidé à garder le cap et ne pas céder à la panique devant l’énormité du projet. Parce que, mine de rien, le film est très compliqué : tous ces raccords entre les studios français et l’Inde, les équipes mixtes, les effets visuels. Tout était relativement compliqué et nouveau pour moi. Wes a été un conseiller secret et j’ai ici l’occasion de le remercier.    

La solitude des nombres premiers de Saverio Costanzo
Un grand film qui m’a fait découvrir Alba Rochwacher. Alba est la compagne de Saverio et quand elle est venue à Bombay pour sa première journée de tournage, Saverio était là. On a beaucoup parlé de cinéma. Dans La solitude des nombres premiers, Saverio emploie tous les motifs du giallo : la musique, la lumière, le cadrage, pour raconter une histoire qui n’est pas liée au genre. Cette démarche m’a libéré : On a souvent tendance à confondre style et genre. En tant que tel, le film de genre a son existence propre, et il produit stylistiquement le pire comme le meilleur. Quand il produit le meilleur, il produit surtout des motifs. Et on peut les utiliser en dehors du genre.
La question du style est importante parce qu’elle transcende le genre. Pour Taj Mahal, cette question m’a permis de raconter une histoire très intime que j’espère universelle et émouvante. Argento, Carpenter et d’autres cinéastes ont constitué mon panthéon personnel et m’ont beaucoup inspiré pour trouver les formes qui pouvaient illustrer ce récit. 
 

Assaut de John Carpenter
John Carpenter est un cinéaste que j’admire depuis la découverte de New York 1997, à sa sortie. La première chose qui m’avait frappé n’était pas le sujet (pourtant génial : New York transformé en prison) mais le style. Carpenter a énormément compté pour moi, j’ai eu la chance de le rencontrer plusieurs fois. Un jour, il m’a parlé du Fantôme de la liberté de Bunuel, qui était un de ses films préférés. Il m’a libéré de mon rapport schizophrène entre cinéma de genre et cinéma d’auteur. Les classifications ne veulent rien dire. Le cinéma échappe à tout ça. L’autre élément fondateur avec Carpenter, c’est sa manière d’utiliser la musique pour produire des sensations pures. Je m’en suis souvenu pour Taj Mahal. Il y a des moments où la musique accompagne l’image dans quelque chose qui dépasse la simple information dramaturgique. Les scènes deviennent de pures expériences sensorielles.
La première fois que j’ai vu Assaut, je me suis demandé si les assaillants n’étaient pas des zombies ou des aliens, j’avais du mal à saisir leur nature. Ils n’existent que par le hors-champ. Pour Taj Mahal, j’avais décidé qu’on ne montrerait les assaillants qu’après l’attaque, par le biais des vraies images d’archives. Pendant l’attaque, comme on adopte le point de vue de Louise, on les entend mais on ne les voit jamais. Assaut est remonté à la surface dans le traitement du hors-champ. C’est un film capital.

Shining de Stanley Kubrick
Shining me bouleverse, parce que derrière la façade du film d'horreur, le vrai sujet c’est l'histoire d'une famille qui se décompose. L'idée de la famille est aussi très présente dans mon film. Si Taj Mahal est inspiré d'une histoire vraie à laquelle j'ai essayé de coller le plus possible, c’est aussi un film d’hôtel avec cette idée d'un évènement qui contamine le lieu. Même involontairement, on pense peut-être plus à Shining qu’à d'autres films. Taj Mahal est l'expérience de cette fille, et en même temps un film d'horreur, ce qui m'a un peu dépassé. Dans ma volonté de vouloir coller au plus près de ce qu'elle ressentait pendant l'attaque, de ce qu'elle essayait de comprendre, je devais filmer le point de vue de la victime. Les questions dépassaient celles de la reconstitution, je voulais montrer un concentré de terreur pure pour faire partager au spectateur cette angoisse de la victime impuissante. On revient au conte, à ce qui dépasse le fait divers : et donc au film d'horreur, et à Shining.

Seule dans la nuit de Terence Young
Un film qui m'avait vraiment terrifié. Le personnage principal est aveugle, on a toujours un train d'avance sur ce qu'elle vit. La dernière demi-heure est un modèle de mise en scène de terreur. C'est un face-à-face entre Alan Arkin et Audrey Hepburn : elle utilise la pénombre et le noir pour se mettre d'égal à égal avec lui. Avant la préparation de Taj Mahal, j'ai fait pour l'équipe un look book de 35 pages, avec toutes les références visuelles : des peintures, des photos, et aussi des images de films. Il y avait deux images de Seule dans la nuit. Parce que c'est un film qui passe du jour aux ténèbres en ne quittant jamais le même lieu. Au début du film, Terence Young construit l'espace autour d'Audrey Hepburn : un appartement new-yorkais extrêmement séduisant, fonctionnel, sympathique. Mais petit à petit, on glisse du confort à l'angoisse. L'espace qu'on a apprivoisé devient un espace étranger. Dans Taj Mahal, l'idée est la même : la suite d'hôtel est grande, belle, confortable, avec une salle de bains et un balcon, et d'un seul coup ça devient une prison.

Inferno de Dario Argento
Le giallo est une variation sur le film noir à l'américaine : il y en a des très bons et de très mauvais. On peut le comparer au baroque en peinture. Le giallo m'intéresse parce qu'il a inventé un nombre incroyable de motifs, le principal étant le moment où notre univers se déréalise totalement à cause de la peur de mourir. D'un seul coup, la frontière qui sépare la réalité du fantastique devient très ténue. Les couleurs, les sensations, les teintes primaires dominent, notre vision des choses devient baroque et exagérée. L'idée que le réel change presque de nature et devient fantastique est au coeur des grands gialli : Ténèbres, Inferno, L'oiseau au plumage de cristal, Quatre mouches de velours gris. Et le giallo m'a influencé d'une façon inconsciente quand Taj Mahal bascule vers le fantastique. Avec Leo Hinstin, on s'est demandé comment filmer les décors de nuit. On voulait sortir du bleu assez vite et glisser progressivement vers les ténèbres, en utilisant d’autres couleurs : rouges, jaunes, verts, une palette qui est celle du giallo. Substituer la nuit aux ténèbres permettait d’illustrer le sentiment de déréalisation de Louise. Elle n'a plus d'attache avec le monde, elle va jusqu'à accepter la mort. Le film le suggère en changeant de registre. Là le giallo a été très utile pour traduire ce sentiment.

Panic Room de David Fincher
Une évidence, comme Répulsion. Mon film préféré de Fincher avec Zodiac. Son film le plus politique aussi, il traite de la lutte des classes à travers la gentrification : les riches investissent un quartier, laissant les pauvres dehors, et les pauvres veulent rentrer. C'est vraiment une métaphore pure. Et il travaille la même chose que Taj Mahal : le noyau familial, le danger qui vient de l'extérieur, l'idée du rite de passage, cette nuit qui devient le moment où la mère et la fille peuvent se réconcilier. Surtout, il est prodigieusement mis en scène. Très intimidant aussi, mais je l'ai gardé en mémoire pendant la préparation de Taj Mahal, sachant que je n'aurais pas les moyens de Fincher, ni le temps dont il dispose quand il fait ses films.

Les oiseaux d'Alfred Hitchcock
Impossible de ne pas parler d'Hitchcock parce que c'est le metteur en scène qui m'a fait comprendre que le cinéma était un art, que la mise en scène est tributaire de la manière dont les choses sont montrées. Le livre qu’il a fait avec Truffaut ne parle que de ça. Le cinéma comme langage des images. C'est Hitchcock encore qui m'a fait comprendre à quel point la disposition du regard dans l'espace détermine l'émotion que le spectateur reçoit face aux images. Et c'est encore lui qui m'a ramené à mon obsession du cadre, comme déterminateur de l'émotion. On emploie beaucoup cette expression "sortir du cadre". Elle sous entend que quelque chose va se passer quand on perturbe la continuité d’un événement ou d’une habitude. En mise en scène, quand on « sort du cadre », on peut produire quelque chose sur le spectateur. Un cadre peut  donner un sentiment de confort. Et d'un seul coup, un changement de cadre peut provoquer un sentiment irrépressible d'angoisse.
J’ai eu tout le temps ça en tête pendant le tournage de Taj Mahal.

Nicolas Saada commente 10 films-référence pour son nouveau long métrage.

Inspiré d’une expérience vécue, Taj Mahal adopte le point de vue d’une jeune touriste française qui vit en direct, depuis sa chambre, l’assaut de son hôtel à Bombay. Tout est question de mise en scène pour Nicolas Saada, qui nous en parle à travers dix titres de films que nous lui avons soumis.

Voir aussi : La Première fois de... Stacy Martin