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Pourquoi partir d’un film pour écrire une pièce ?C’est la troisième fois que je le fais ! Je pars d’une œuvre cinématographique comme je partirais d’un livre, d’une pièce que je découvrirais. En regardant le film de Horatiu Malaele, je me suis dit qu’il y avait du théâtre qui se cachait là-dedans. Ces villageois à qui l’on impose le silence me font songer aux comédiens à qui l’on interdisait de jouer au Moyen Age.Qu’arrive-t-il à ces villageois ?C’est une sorte de village gaulois, en Roumanie sous l’occupation soviétique. Le problème n’est pas l’occupant, mais d’arriver à marier deux zozos. Le village décide enfin du jour des noces et s’y prépare. Mais Staline meurt et sept jours de deuil national sont instaurés. Plus question de faire la fête. Les villageois contournent l’interdiction par une noce silencieuse. Pas de musique ni de bruit, la mariée pleure, son père, une sorte de Falstaff, lance « que la noce commence ! » Un char soviétique arrive, les soldats séparent les femmes des hommes, qui sont envoyés en camps.C’est une satire politique ?Qui raconte la lutte ancestrale du peuple contre tout oppresseur. Cette pièce est une chronique de faits véritables devenus une légende. J’ai toujours essayé de suivre le fil d’un théâtre qui parle de la vie intime des gens que l’Histoire écrase. Que la noce commence est une pièce autour du bruit et du silence. Le peuple est bruyant mais aussi silencieux, car on veut souvent lui imposer de se taire. Cette farce me permet de rassembler autour de moi des compagnons des quinze ans passés à Aubervilliers. Sur le plateau, on retrouve seize comédiens et deux musiciens. C’est un spectacle très choral. J’espère qu’on y rira et y pleurera.Et si nous dressions un bilan de vos années passées à la Commune ?Cela a surtout été quinze années de présence quotidienne ! Ce qui ne m’a pas empêché de jouer dans des films. J’ai refondé une maison, située en banlieue, pour en faire un lieu populaire. Et pour cela, il fallait être solidaire avec les Albertivillariens et leur raconter des histoires qui parlent d’eux, de nous. Le théâtre est un miroir dans lequel on peut regarder des choses tristes ou gaies de notre condition. Malgré leur talent, mes prédécesseurs avaient créé un fossé entre le théâtre et la population locale. C’était une maison qui avait une belle histoire mais subissait un naufrage.Un véritable enjeu !La question est : c’est quoi être artiste dans une banlieue comme celle-ci ? Il était nécessaire de redevenir légitime pour Aubervilliers et même pour le département de la Seine-Saint-Denis. Si leur théâtre devient une maison respectée, les habitants éprouvent de la fierté, car ça fait partie de leur patrimoine. Avec mon équipe, nous avons réussi à sortir de cette décentralisation parisienne des années 70/80. Aujourd’hui, l’intelligentsia a été remplacée par un public francilien.Comment s’inscrire dans la cité ?Il faut construire une relation avec les alentours, travailler avec les institutions, comme le conseil local des jeunes. Sur un territoire où on ne respire pas l’art aussi naturellement que dans les quartiers chics de Paris, il faut aller chercher les gens. Quand ils viennent et qu’ils sont heureux, ils reviennent. Lorsque nous nous sommes produits dans la cour d’honneur du Palais des Papes à Avignon, avec L’Ecole des femmes de Molière, les gens d’Aubervilliers ont ressenti une fierté et beaucoup sont descendus au Festival. Quand Pierre Arditi vient jouer, c’est aussi une fierté. Lors des répétitions, on allait déjeuner dans les troquets des environs, les gars n’en revenaient pas et demandaient à Pierre ce qu’il faisait ici. Il répondait : « Ben je travaille ! »Le contact avec les jeunes est important.On ne doit pas avoir peur de se confronter à la jeunesse ! Pour Les Fausses Confidences de Marivaux nous avions organisé avec Plaine Commune, qui regroupe les villes d’Aubervilliers, Saint-Denis et La Courneuve, une représentation pour les jeunes. La plupart n’étaient jamais allés au théâtre. Leur complicité immédiate avec une histoire et surtout une langue qui n’est pas de maintenant était frappante. A la fin, au salut, le premier rang, rempli d’ados à la visière derrière, s’est levé. Les gamins ont crié à Anouk Grinberg en levant le pouce : « Waouh, la meuf ! ». Ne doutons pas de la démocratisation culturelle ! Il faut juste lui donner les moyens.Et après la Commune ?Je n’ai jamais pensé à cet après ! Dans ma carrière, j’ai co-fondé une compagnie, construit un théâtre, l’Aquarium, qui existe encore, refondé un autre… C’est pas mal, je me dis que c’est au tour des autres.Que la noce commence au Théâtre de la Commune