Le code a changé de Danièle Thompson
Luc Roux

Alors que France 2 diffuse son film cette après- midi, sa réalisatrice nous en a confié les secrets de fabrication

Est-ce que vous vous souvenez comment est née l’idée du Code a changé ?

Danièle Thompson : Elle est née lors d’un dîner à la maison avec une bande de copains. On était huit à table. On a passé une soirée joyeuse où chaque couple avait raconté les circonstances de leur rencontre. Et puis, le lendemain matin, une de mes amies m’a appelé et expliqué qu’elle n’avait pas voulu gâcher la soirée de la veille mais que juste avant de venir, son conjoint et elle avaient décidé de se séparer ! Je suis tombée à la renverse car tout au long de ce dîner, je n’avais pas détecté le moindre indice qui m’aurait permis de le deviner. Mais, en raccrochant, je me suis dit que ce serait un bon sujet de film. Non pas le sempiternel dîner façon règlement de comptes où les gens pètent les plombs. Mais, au contraire, la soirée où chacun arrive à masquer ses blessures intérieures pour faire bonne figure. Par convention sociale ou juste pour ne pas gâcher la bonne humeur des autres. J’ai donc eu envie d’écrire avec Christopher (Thompson) un film sur le paraître, notre capacité à chacun à passer une bonne soirée en se prenant au jeu, en étant dans le déni de ce qu’on vit intimement à ce moment- là et en cherchant à montrer son aspect le plus solaire donc le plus flatteur. C’est un thème de comédie formidable autour de ce qu’on montre et de ce qu’on cache. Et de là, on est parti pour un an de boulot !

Il y a un goût chez vous pour le film choral. Y avait- il aussi avec Le Code a changé l’envie de continuer à vous inscrire dans ce genre après La Bûche et Fauteuils d’orchestre ?

Non, pas spécialement car entre temps j’avais aussi réalisé Décalage horaire centré sur un duo Juliette Binoche et Jean Reno. Il y a évidemment quelque chose de ludique à développer autant de personnages mais rien n’est plus difficile. Car il faut à la fois tenir le rythme de l’intrigue et faire que chaque personnage existe – sinon on peine à trouver des comédiens - mais sans faire trop long. L’exercice a été passionnant et, d’ailleurs sur Le Code a changé, la vraie difficulté s’est située ailleurs. Dans la gestion du travail sur le son, une fois sur le plateau, au fil de ce mois de tournage avec tous ces personnages autour d’une table. Et je ne remercierai jamais assez de son exigence Jean- Pierre Duret (Rosetta, La Bûche, L’Apollonide…) qui a pris soin que tout reste audible alors que je tenais à faire se chevaucher les conversations comme dans tout dîner. Il y est parvenu avec un jeu de micros. Après chaque prise, on enlevait les micro- cravates des comédiens dont les conversations avaient été au premier plan pour les donner aux autres afin qu’ils soient à leur tour audibles dans la suivante. Tout cela m’a permis de multiplier les options possibles pour le montage. Un boulot d’autant plus conséquent que, chaque jour, j’écrivais de nouveaux dialogues.

Pour quelle raison ?

Pour obtenir ce brouhaha constant en fond sonore dont je vous parlais. J’ai commencé par écrire des dialogues qu’on n’était donc pas censé entendre à l’écran. Mais, très vite,  je me suis dit que c’était bête de gâcher ceux qui me plaisaient le plus et de ne pas les mettre en « in ». Ce jeu s’est poursuivi tout au long du tournage.

Le respect du texte est essentiel pour vous, une fois sur le plateau ?

Je m’efforce d'imaginer des dialogues à la fois très écrits et très en bouche. Je suis évidemment prête à corriger les choses si les comédiens buttent sur tel ou tel mot. Mais cela arrive assez peu car l’une des bases de mon travail de scénariste est d’arriver à cette limpidité- là. Dans un film choral, tout doit être encore plus très écrit sous peine de voir chacun tenter de faire un numéro et mettre à mal l’harmonie de l’ensemble.

Est-ce que vous écrivez pour certains acteurs ?

Pas sur Le Code a changé. J’avais simplement proposé un rôle à Valérie Lemercier que j’avais dirigée dans Fauteuils d’orchestre mais elle n’en a pas eu envie à ce moment- là. Le puzzle s’est en fait constitué au fur et à mesure, de manière assez naturelle. Je tenais à tout prix à mêler différentes familles de cinéma, de Patrick Bruel à Marina Foïs en passant par Dany Boon, Emmanuelle Béart, Laurent Stocker, Karin Viard, Bianca Li, Pierre Arditi, Marina Hands, Christopher (Thompson), Emmanuelle Seigner ou Patrick Chesnais… Je dois d’ailleurs bien involontairement à ce dernier mon seul grand stress de cette aventure. Lors de la scène où Pierre Arditi et lui dansent le rock, j’étais derrière le combo quand je l’ai vu soudain disparaître du cadre. Il venait de se foutre en l’air le genou ! Avec trois semaines de plâtre à la clé, la mise en sinistre du film et l’arrêt du tournage d’un mois que cela implique - film choral oblige - le temps qu’il se remette. Mais la scène en valait la chandelle, non ?

Quel regard portez- vous sur le film avec le recul ?

Je l’aime beaucoup précisément car j’adore mes acteurs. Je pense par exemple à ce que fait Laurent Stocker de son rôle de cuisiniste qui n’était pas le plus intéressant sur le papier. Quelque chose d’incroyablement vivant sans pour autant briser l’harmonie collective. Il n’empiète pas sur les autres, il emmène le récit plus loin. La Bûche avait démarré très fort le jour de sa sortie avec un mercredi à 25 000 spectateurs sur Paris. Et s’il a bien marché (1,6 million d’entrées, le deuxième plus gros succès de sa carrière à ce jour- NDLR), j’avoue que je m’attendais à dépasser les 2 millions. Pourtant, aujourd’hui, c’est un de mes films dont on me reparle le plus car les gens ont appris à l’apprécier avec le temps. Beaucoup m’expliquent en effet qu’à la sortie ils avaient été un peu déstabilisés car ils ne s’attendaient pas à cette teinte relativement sombre du propos, à laquelle je tenais. Derrière la comédie, tout n’y est pas rose, entre maladie, trahisons de couple, crise de la quarantaine… Et avec le recul, sur ce film, je n’ai pas vraiment de regrets.