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Courtesy of 20th Century Studios / Courtesy of 20th Century Studios / © 2023 20th Century Studios. All Rights Reserved.

Rencontre avec le réalisateur de Rogue One, de retour à l’affiche avec un film de SF original à 80 millions de dollars qui n’est ni une adaptation, ni lié à une franchise. Un cas de plus en plus rare à Hollywood…

Cet entretien a été publié initialement dans le numéro 544 de Première, disponible en kiosque et sur notre boutique en ligne.

 

PREMIÈRE : Gareth, où étiez-vous passé depuis Rogue One?

GARETH EDWARDS : Disons que j’avais besoin d’une petite pause. J’ai enchaîné Godzilla et Rogue One sans un seul jour de repos. J’avais besoin de m’arrêter et de réfléchir à ce que je voulais faire ensuite… J’ai écrit trois scénarios et développé trois films différents. Deux sont restés sur le carreau, un a été financé, The Creator. Ces trois projets, aussi différents soient-ils, découlaient tous d’une même envie, d’un même cheminement intellectuel…

Lequel ?

Il repose sur mon parcours professionnel. J’ai commencé par un film de SF à très petit budget, Monsters, puis j’ai enchaîné sur deux grosses productions hollywoodiennes et même si ces deux expériences ont été passionnantes, j’ai eu soudainement l’impression qu’il y avait une meilleure façon de faire du cinéma. Combiner la liberté créative d’un film indépendant et l’ampleur d’une grosse production…

Et c’est possible ?

La réponse, vous la trouverez dans The Creator… Disons qu’à ce stade de ma carrière, la seule chose qui m’excitait vraiment, c’était de me lancer dans un projet original. Quand j’ai grandi, pratiquement chaque film était « original ». Pour moi, c’était la nature même du cinéma. Plus tard, à la fin des années 80 et au début des années 90, les suites ont commencé à arriver en force et maintenant, on se retrouve piégé dans cet univers fait de franchises et de multivers. Laissez-moi vous raconter une anecdote. Alors que nous avions une réunion avec Disney [qui distribue The Creator] pour évoquer la date de sortie du film, quelqu’un de très haut placé dans le studio a demandé s’il fallait mieux sortir en 2024 ou 2023. Un des participants a alors affiché sur un grand écran toutes les sorties du studio pour 2023 et un autre a dit tout haut : « Tiens, c’est notre seul film original de 2023, le seul de nos “gros” films à ne pas être basé sur un livre, un film ou une propriété intellectuelle. » J’ai quitté cette réunion en état de choc, stupéfait par ce constat.

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Cette « originalité » est presque devenue un argument publicitaire pour le film…

Ah ah ah, en quelque sorte, oui. Tout dépend de l’envie du public. Les gens vous disent qu’ils en ont assez des films franchisés mais… Disons que le cinéma c’est comme la politique, si vous vous plaignez, allez voter. Votre vote c’est le ticket que vous achetez !

On dirait qu’il y a presque une dimension activiste dans votre démarche.

Je n’irais pas jusque-là, tout de même… Après Godzilla, je me suis dit que je ne ferai plus de franchise. J’avais fait mon film hollywoodien, et je voulais désormais développer mon propre truc. Et puis j’ai reçu un coup de fil. « Comment ça, un Star Wars? » C’était la seule chose que je ne pouvais pas refuser… Quand vous êtes embauché pour faire un film estampillé Star Wars vous avez le sentiment d’y être enfin arrivé. Vous vous imaginez que le ciel va s’ouvrir, qu’il y aura un arc-en-ciel géant, que vous monterez sur une licorne, que tout le monde applaudira et que la vie sera merveilleuse. Évidemment, ça ne se passe pas comme ça. Vous avez certes escaladé une montagne, mais rien n’a vraiment changé à part la vue. On commence alors à se demander pourquoi on fait ça. J’ai 48 ans maintenant, combien de films me reste-t-il encore à réaliser ? Je voulais remettre du sens et un peu de ma sensibilité dans mon travail, ne plus me confronter aux univers des autres. Créer mon propre monde, mon storytelling personnel. The Creator, je l’espère, raconte un peu ce sentiment-là.

The Creator, qui a (déjà) vu verra [critique]

La dernière fois qu’on a vu John David Washington, qui tient le rôle principal de The Creator, dans un gros film hollywoodien, c’était dans Tenet, un film 100 % original lui aussi. Vous pensez que c’est un hasard ?

Je ne veux surtout pas parler en son nom, mais je dirais que John fait très attention aux films qu’il choisit. Il est très sélectif et je pense qu’il a vraiment bon goût. (Rires.) Regardez un peu sa filmo ! Et puis c’est quelqu’un de très marrant, très sincère et un vrai gros fan de science-fiction. La première fois que je l’ai rencontré, nous devions nous masquer à cause de la pandémie. Et je le vois débarquer avec un masque Star Wars sur le visage. Je me suis dit : « Tiens, c’est étrange, il a fait ça parce que j’ai réalisé Rogue One ? Quel message essaie-t-il de m’envoyer ? » Quelque temps plus tard, il m’a avoué qu’il avait horriblement hésité à porter ce masque devant moi ce jour-là. Sauf que depuis le début de la pandémie, il n’avait rien porté d’autre que des masques Star Wars. Il avait simplement choisi de se présenter tel qu’il était…