Jean Louis Trintignant dans Amour de Michael Haneke
Les Films du Losange

L’acteur est décédé à l'âge de 91 ans.

Jean-Louis Trintignant nous a quittés. L'acteur s'est éteint à l'âge de 91 ans, "mort paisiblement, de vieillesse, ce matin, chez lui, dans le Gard, entouré de ses proches", a précisé son épouse, Mariane Hoepfner Trintignant, à l'AFP. En 2017, nous avions avions eu la chance de le rencontrer pour la sortie de Happy End, de Michael Haneke, qui marquait ses retrouvailles avec le réalisateur d’Amour (2012). L’occasion de revenir avec lui sur son immense carrière, mais aussi de parler de la vie, de la maladie (il nous annonçait en préambule souffrir d’un cancer) et l’heure de la retraite.

Nous vous proposons cet entretien fleuve et sans fard en intégralité. 

 

Jean-Louis Trintignant : Je peux vous offrir une cigarette? Je fume des Che, je fume à gauche, ahaha. J’avais arrêté de fumer, puis un ami m’a dit « Oh à ton âge qu’est-ce que tu risques ? »  Avant j’avais peur du cancer. Plus maintenant, j'en ai un ! Quand je signe des autographes – comme je ne vois plus grand chose, c'est difficile mais bon – je signe « Jean Louis Trintignant » et je précise en dessous « à la fin de sa vie. »  Alors vous voulez me faire parler du film d’Haneke c’est ça ?

Première : Entre autre, oui.

Vous n’arriverez pas à me faire dire du mal de cet homme-là, c’est un génie. Il est merveilleux, le plus grand metteur en scène de notre époque. Et Happy end, c’est splendide. Il aura moins de succès qu’Amour, mais c’est presque encore mieux. Avec l’autre, on a eu la Palme d’Or et là rien. Je me demande à quel point c’est une revanche contre lui.

Ça compte à vos yeux les prix ?

Bah… pas vraiment. C’est toujours agréable, quoi. Rien de plus.

Vous n’avez eu beaucoup de récompenses d’ailleurs, un prix d'interprétation à Cannes pour Z, et un autre à Berlin pour L’Homme qui ment et puis un César pour Amour.  

Ah mais vous avez révisé dites donc, ça fait plaisir !  Oui, j’ai eu ça. Pourtant, je ne me trouve pas très bon dans Amour. Je me préfère dans Happy end. Je me sens plus proche de ce type très vieux qui veut se suicider. Et puis, je m’entendais très bien avec ma partenaire, cette petite fille incroyable (Fantine Harduin NDR)… Pour en revenir à Haneke, c’est vraiment quelqu’un de très gentil. Enfin avec les acteurs. Un peu moins avec les techniciens. Il dit  souvent « je ne veux pas rater ce plan à cause de la technique. » C’est un peu injuste, parce que c’est rarement de leur faute, aux techniciens… Binoche m’avait dit qu’il pouvait faire jusqu’à trente prises, tellement il est perfectionniste. Je n’aime pas du tout ça et finalement il a rarement fait plus de quarante prises avec moi.

Ça veut dire que vous êtes moins bon que Binoche, peut-être ?

Non, ça veut juste dire qu’il écoute les désirs de ses acteurs. Surtout quand ils sont âgés ! Je n’aime pas tourner avec les réalisateurs dits «  difficiles ». J’aurais du tourner avec Zulawski à une époque, un film que ne s’est jamais fait d’ailleurs , en tout cas qu’il n’a pas fait lui (Maladie d'amour de Jacques Deray, NDR), mais Mastroianni m'a dit que c’était un emmerdeur. Alors je lui ai fait croire que j’avais un cancer. Mais j’ai eu tort d’agir comme ça, j’ai loupé trop de grands cinéastes. Fellini, notamment, pour son Casanova, il m’avait demandé deux ans pour le tournage. Moi à l'époque, des films, j’en tournais quatre par an... Bon, c’est pas si grave que ça. 

Vous avez déjà pris plusieurs fois votre retraite. Après Ceux qui m’aiment prendront le train, après Amour… On a l’impression que seul Haneke peut vous en sortir.

Après avoir vu Caché, je m’étais dis : « Je ne veux plus faire de films mais si Haneke me propose quelque chose j’irai. » Et il se trouve qu’il est le seul à me proposer des films. 

On a du mal à croire ça.

Ok, c’est vrai, j’exagère, on m’en a proposé quelques uns. Mais je n’en avais pas envie. C’était compliqué. Et mal payé. Je ne suis pas richissime, vous savez.

Il y avait une forme de pudeur dans cette retraite ?

C’est-à-dire ?

Une envie de ne pas vieillir à l’écran ?

Oh non pas du tout. Et puis vous voyez j’ai carrément fait Amour, un film sur la vieillesse. Le fait est que je ne peux plus jouer autre chose que des vieillards aujourd’hui. Si on me proposait Hamlet, ça me plairait. Quoique non, je ne vais plus rien faire après Happy End, en fait. C’est beau ici, le sud, cette maison, ça me suffit. Je n’ai pas d’appart à Paris. Pas comme vous (une pause). Pas comme vous.

Oui enfin nous on y est surtout parce qu’on y travaille…

Oui je vous taquine. Moi je n’y ai plus de résidence depuis 1975, donc vous voyez ça date.

C'est une retraite déjà, au sens géographique du terme.

J’aime pas ce mot « retraite ». Je ne sais pas trop ce que ça signifie. 

Il semble que l’idée de tout arrêter vous hante depuis le milieu des années 70.

Oui c’est vrai, c’est peut être parce que je ne suis pas un vrai comédien. 

Ça vous ennuyait à ce point le cinéma?

Non mais… il y a un âge où c’est bien et puis ça devient moins intéressant. Vers 45 ans, j’ai commencé à m’ennuyer un peu… A partir de là, on ne joue plus que des vieux.


 

Le paradoxe, c’est que parmi vos rôles les plus marquants il y en a pas mal que vous avez eu après vos 60 ans. Que ce soit Rouge, Regarde les Hommes Tomber, Amour… Ce sont des films et des rôles qui resteront, peut être plus que ceux vous tourniez vers la trentaine…

C’est sûr. J’ai toujours été un peu en retard. J’ai toujours été un peu attardé, surtout... J’ai tourné dans 130 films il me semble, ça fait au moins cent de trop. 

Mais c’est la preuve qu’on peut avoir de très beaux rôle à tous les âges…

Oui, mais je m’amusais plus à tourner dans des films comme Z, par exemple. Je cite Z en particulier parce que c’était un rôle court, j’étais assez secondaire dans le projet au fond, mais quel plaisir ! Je tournais le film en soirée et la journée j’en tournais un autre, ahaha ! J’ai toujours fonctionné comme ça, au plaisir. Ça m’a fait faire des erreurs. Je voulais tellement tourner avec Truffaut par exemple, que j’ai accepté l’un de ses moins bons films, Vivement Dimanche. Le scénario n’était pas terrible, le rôle non plus, mais j’y suis allé, tant pis. Truffaut, ça faisait des années que je le draguais. Un jour, je l'avais rencontré dans un café et je lui avais dit « Comment ça se fait que vous ne m’ayez jamais appelé pour qu’on tourne ensemble ? », et il me répond, « Je n’avais vraiment pas de rôle pour vous, Jean-Louis. » Et moi, très arrogant : « Ce n’est pas vrai, tous les rôles que vous vous êtes donnés dans vos films, j’aurais pu les faire, et surement même mieux que vous ! » Ça l’a fait rire et il m’a demandé de voir La Chambre Verte dans lequel il jouait. Et j’ai dû avouer qu’il était épatant comme acteur dans ce film-là. 

Vous avez eu un rapport assez distant avec la Nouvelle Vague. Il y a eu Ma Nuit Chez Maud de Rohmer, les Biches de Chabrol, Le Cœur battant de Doniol Valcroze, et... c’est tout.

Si Truffaut avait vécu plus longtemps, je pense que nous aurions fait d’autres films ensemble, on s’était très bien entendu. Mais dans les années 60, à l’époque où Godard faisait la loi, moi j’avais l’étiquette « Lelouch » à cause du succès d’Un homme et une femme. Pour eux, j’étais dans le clan des méchants. Il n’y a pas si longtemps, Godard m’a proposé un film, je lui ai répondu « C’est dommage j’aurais beaucoup aimé tourner avec vous mais c’est trop tard désormais. » Et il a fait le film sans moi. Il a eu raison.

Pourquoi c’était « trop tard »?

Parce que ce que j’aurais voulu, c’est tourner avec lui à la grande époque, celle de Plein Soleil ! Euh non Plein Soleil, c’est René Clément. J’ai tourné avec lui d’ailleurs, grand metteur en scène mais vraiment pas sympa. Sur un tournage (celui de La Course du lièvre à travers le champs, NDR), il m'a fait refaire un paquet de fois une scène où Aldo Ray me jetait dans un lac gelé. Quand je lui demandais pourquoi on la refaisait, il répondait: 'C'est moi le metteur-en-scène'. Alors Aldo Ray l'a balancé lui dans le lac. Ca m’a fait beaucoup rire. Lui était furieux: « Vous ne tournerez plus jamais, Ray ! » Ah ah ah ! En tout cas au sein de la Nouvelle Vague, celui que j’aimais le plus c’était Rohmer. Il était rigolo parce qu’il était à la fois très catho et très pistachier.

Du coup, votre Nouvelle Vague à vous, vous vous l’êtes faite sur les plateaux de cinéma italien.

Ils étaient très sympas les Italiens. A la fin des années 50, tous les gens qui bossaient dans le cinéma se retrouvaient dans un restaurant, Otello je crois, une vraie cantine pour les gens du milieu. J’aimais bien y aller. Un jour un type arrive et dit : « Je reviens de Paris et j’y ai vu ce film de Jules Dassin, Du Rififi chez les hommes, j’ai adoré. » Il se met à raconter le film devant tout le monde. Un autre lance « et si on changeait quelques éléments et qu'on en tournait un remake? » Un autre dit : « Ok, je le produis. » Un autre :  « Et moi je joue dedans. » Quinze jours plus tard, le film était en tournage, c’était Le Pigeon de Monicelli, un chef d’œuvre. Tout était comme ça, là-bas, il y avait beaucoup de vitalité, d’amitié et de légèreté. Tout le monde se mélangeait. Il y avait des réalisateurs de séries B qui mangeaient et buvaient avec des grands comme Visconti ou Antonioni. Pendant ce temps en France, le snobisme régnait. Donc je passais beaucoup de temps là-bas, forcément. 

Brando a trouvé un de ses plus beaux rôles dans Le Dernier tango à Paris, que j'avais refusé. J’avais participé à l’écriture du script pourtant. Mais ma fille, Marie, tenait à ce que je ne le fasse pas.

On pourrait revenir un peu à cette notion de plaisir que vous évoquiez tout à l’heure, à propos du métier d’acteur ?

Oh elle est très simple à définir. C’est le plaisir du jeu, comme un enfant qui s’amuse. Et le plaisir de l’argent. C’est quand même très bien payé, les films. Quand je gagne « dix » au théâtre, je pourrais pendant ce même temps gagner « 100 » au cinéma. 

C’est une posture votre manière de parler aussi frontalement d’argent ?

Oui, un peu. Mais pas tant que ça. Là, j’ai encore quelques économies de côté. Et une fois que j’aurai tout dépensé, je me suiciderai. Je vous dis ça parce que je ne tiens plus beaucoup à la vie. Si j’avais trente ans, je ne ferais pas le malin à ce sujet.

Vous dites aimer l’argent, très bien, mais quand on regarde votre filmo, une fois la notoriété acquise vous continuez à tourner dans des films très singuliers, très étranges, comme si la quête du carton au box-office était le cadet de vos soucis…

Ah oui, je m’en foutais totalement. Je venais de la campagne, j’étais insouciant… J’ai eu quelques films qui ont très bien marché ici, d’autres en Italie, il fallait quand même faire quelques succès de temps à autre pour continuer à travailler. Mais je n'avais pas cette envie chevillée au corps, comme pouvaient l’avoir Delon ou Belmondo par exemple…

Eux ont eu conscience de leur propre mythologie très vite. Ils jouaient le rôle d’ « Alain Delon » ou de « Jean Paul Belmondo ». Vous, on a l’impression que ça ne vous est arrivé qu’au moment d’Amour finalement. C’est-à-dire vers 83 ans.

C’est juste. Mais je n’étais pas une vedette comme eux.

Ou vous avez choisi de ne pas le devenir.

Disons que je voulais jouer des choses éloignées de moi. Ça me donnait plus de plaisir. Effectivement, je ne voulais pas jouer le rôle de « Jean-Louis Trintignant ». Piccoli est un peu comme ça, lui aussi. Je l’aime beaucoup, il a gardé une âme d’enfant. A 90 ans, il s’émerveille encore. Lui non plus ne veut plus tourner d’ailleurs. Je crois.

Il y eu un moment précis où vous vous êtes dit: « Ça y est, je ne m’amuse plus en faisant ce métier. »

Oui. Je m’étais arrêté une fois au milieu des années 70 parce que je voulais devenir pilote automobile. Et puis quelques années après, à nouveau, parce que je voulais être plus « créatif ». Je voulais faire de la musique ou de la mise en scène. J’ai réalisé deux films d’ailleurs, mais ils étaient pas très bons.

Le premier, Une journée bien remplie est devenu un film culte.

Oh… Personne ne l’a vu.

Tous ceux qui l’ont vu l’adorent.

Eh bien merci, c’est très touchant ce que vous me dites.

On trouve même un peu de son influence dans la filmo de Jeunet, avec qui vous avez travaillé dans La Cité des enfants perdus

Ah, vous trouvez ? Il ne m’en a jamais parlé. Jeunet, j’aurais aimé tourner vraiment avec lui, je n’ai fait qu’une voix dans son film... Bref, pour en revenir à mes divers « arrêts de carrière », c’est juste que je voulais goûter à d’autres choses parce que je pense qu’on a tous plus de talents, au pluriel, que d’occasions de les exercer. Je me disais qu’ acteur, ce n’était peut être pas mon truc parce que je manquais un peu d’esprit de compétition. Pareil avec la course automobile : je me suis rendu vite compte qu’il ne fallait pas insister, parce que je me moquais complètement de finir dernier ou avant-dernier, du moment que je pilotais… Cela me ramenait aux même problématiques que le métier d’acteur. Je me rappelle d’une fois où je devais faire une course avec mon ami Moustache (acteur et jazzman NDLR). Johnny Hallyday avait voulu venir avec nous. Mais il avait dit à Moustache « – Je cours avec vous mais il faut que je gagne », « – Et bien Johnny, tu gagneras si tu vas plus vite que les autres », « – Ah non, non, si je cours je dois forcément gagner. Trintignant, par exemple, s’il finit dernier tout le monde s’en fout, c’est pas grave, alors que moi si je fais une course devant un public il faut que la gagne. » C’était bien vu, il avait totalement raison: une vedette quand ça fait une course, ça la gagne. Et moi, je ne tenais pas à gagner. Je n’ai aucune pugnacité, c’est terrible.

On dit d’ailleurs que cette absence de compétitivité vous a coûté certains films. D’ailleurs, il parait que Delon vous a piqué mal de rôles…

Ah j’ai cru que vous alliez dire « vous a piqué pas mal de filles », ahaha ! Mais je lui en ai piqué aussi. Je parle des filles, hein…

Il paraît que son rôle dans Mélodie en sous-sol était écrit pour vous à l’origine…

Non, on ne me l’a jamais proposé en tout cas. J’ai fait quelques films que Belmondo n’avait pas pu faire. Mais c‘est le traintrain des acteurs ça, s’échanger les rôles. Brando a trouvé un de ses plus beaux rôles dans Le Dernier tango à Paris, que j'avais refusé. J’avais participé à l’écriture du script pourtant. Mais ma fille, Marie, tenait à ce que je ne le fasse pas. Elle avait lu le scénario et avait peur qu’on se moque d’elle à l’école si on me voyait nu à l’écran. Ça n’a pas été facile de décliner, j’étais très ami avec Bertolucci à l’époque.

Il y avait eu le Conformiste avec lui quelques années avant, un de vos plus grands films…

Il était très jeune, 28 ans je crois. C’était un surdoué et quelqu’un d’assez maladroit aussi. Quand j’ai fait ce film, j’ai perdu une petite fille le premier jour de tournage. Je voulais tout arrêter mais les assurances me l’ont interdit.  Alors je l’ai tourné dans un état second. Sur le plateau, à un moment, Bertolucci trouve que j’ai un regard étrange qu’il aime beaucoup. Et il me dit « A quoi tu penses, Jean-Louis ? » A quoi je pouvais penser, hein ? Alors je lui dis : « – Je pense aux pneus de ma voiture. ». « – Ah c’est formidable, tu arrives à avoir ce genre de regard en pensant à tes pneus. Formidable ! » Il ne pouvait pas comprendre ce qui agitait mon esprit à ce moment là…

Jean-Louis Trintignant dans Le Conformiste
Les Acacias

Je ne sais pas si c’est à cette scène que vous faites référence, mais il y a un plan dans Le Conformiste qui incarne à mes yeux tout le style Trintignant : celui où vous laissez mourir Dominique Sanda. Vous la regardez à travers la vitre de votre voiture et ne lui ouvrez pas la porte. Un mélange stupéfiant d’économie et d’efficacité, tout passe à travers le regard et votre côté stoïque. C’est inoubliable. 

Ah oui, quelle séquence ! C’est marrant que vous remarquiez cela parce que lorsque j’étais jeune et que je prenais des cours on me disait : « mais pourquoi vous voulez être acteur, vous ? Vous jouez tout tête baissée, sans intonation, sans rien. Vous êtes le contraire d’un acteur. » Et moi je répondais : « Peut-être que je joue la tête baissée mais à l’intérieur de moi ça bouillonne. » Un des premiers film que je tournais c’était avec Christian Jaque, un grand metteur en scène. Il y avait une scène où je devais juste attendre. Jaque voulait que je regarde avec insistance ma montre et que je grommelle. Je ne voulais pas faire ça, j’étais convaincu que la situation se suffisait à elle-même, je ne voulais pas « montrer » mais vivre les choses et les intérioriser. Déjà, j’avais cette idée de jeu en tête. Peut-être à cause de Bogart. Je crois que c’est le seul acteur qui m’a à ce point influencé. Je lui ai piqué des trucs, notamment au niveau de l’économie. Et puis on avait le même style de carrure…

Et cette spécificité dans la voix…

Vous la trouvez spécifique ma voix ? Pourtant, elle change tout le temps.

Euh, non justement, elle bouge pas, reconnaissable entre mille.

C’est curieux ça… Un coup de chance, alors. Au cinéma, tout nous échappe vous savez, les journalistes ne s’en rendent jamais compte. Par exemple, on me disait au début de ma carrière que j’étais plutôt joli, mais je ne le savais pas du tout . Et puis je suis tombé d’un coup, physiquement. Et là j’ai pris conscience a posteriori que j’avais été joli garçon. 

Euh, vous étiez quand même avec Brigitte Bardot au moment où elle était la plus belle femme du monde. Ça peut aider à prendre conscience de son physique et de son charisme, ça.

Ah ça m’a fait du bien ça, oui. Et du mal, à cause du star system, des paparazzi… Je détestais ça. Les drogues aussi m’ont fait du bien pour surpasser ma timidité. Si je n’avais pas fumé des pétards, je serais toujours le type seul, au fond de la pièce. Je ne veux pas faire l’apologie des drogues douces, surtout pas, mais je dois avouer que Bardot et les drogues, ça m’a aidé oui. Sauf que la résonance médiatique de notre couple m’a fait trop de mal.

D’où la peur de devenir une star ?

Très probablement, oui. 

Dix ans après Et Dieu créa la femme, le succès énorme d’Un homme et une femme vous installait dans la peau du jeune romantique à la française. On a l'impression que vous passez la suite de votre carrière à torpiller cette idée, notamment en multipliant les rôles de méchants.

Héhé, peut être oui. Il faut du temps pour comprendre ces choses-là. Un sacré succès, le Lelouch. C’est là où tout démarre finalement, parce que Et Dieu créa la femme, c’était surtout le film de Bardot. Là, non seulement Palme d’or, Oscar, succès ici mais succès à l’étranger aussi ! Je l’ai revu cet hiver avec Lelouch, je lui ai dit que c’était toujours très bien. C’était très novateur et tout le monde l’a pillé. La pub, le clip notamment s’y sont servis, par exemple à travers l’utilisation des longues focales. 

Anouk Aimée, Jean-Louis Trintignant, Claude Lelouch pour la première de Les Plus Belles Années à Cannes
Reynaud Julien/APS-Medias/ABACA

Vous êtes toujours ami avec Lelouch ?

Oui. A chaque fois qu’on se voit, il me dit : « Faisons un film ensemble. Par exemple tu pourrais faire le père de Jean Dujardin ! » 

A vous entendre parler, on a l’impression que votre carrière était finalement très secondaire dans votre vie.

Oui, je me suis laissé un peu aller. Je me suis impliqué dans tous mes rôles, même les pires, mais pas dans ma carrière. Je tournais avec des copains. C’était pas si important les films. C’est le père de Kassovitz, Peter, qui m’a dit ça un jour : « C’est pas si grave de faire des films ratés, c’est pas comme si nous étions architectes ! » Ah ah ah ! Il faut juste avoir la chance d'être dans un bon film de temps en temps… Je vous dis ça et en même temps je réalise que j’ai passé ma vie à avoir des angoisses existentielles à cause de ce métier. Je les ai encore. Si un jour vous apprenez que je me suis tué, ne soyez pas étonné hein... « Quand on aime la vie on va au cinéma », vous connaissez cette phrase ? Quelle bêtise, quand on aime la vie, on a mieux à faire qu’aller au cinéma ! Moi je crois que les gens qui ont de la chance, comme les acteurs avec du succès, ont en fait beaucoup de malchance. On ressent le mauvais aussi fort que le bon et on n’arrive plus à faire la part des choses. La seule phrase qui compte à mes yeux c’est celle de Pierre Reverdy : « On ne peut plus dormir tranquille quand on a une fois ouvert les yeux. » C’est la seule leçon que je retiendrai.