HAUT ET COURT

L’actrice revient sur son rôle éprouvant dans l’époustouflant Jusqu’à la garde et sur son travail avec le réalisateur, Xavier Legrand.

En février 2019, Léa Drucker a gagné le César de la meilleure actrice pour Jusqu'à la garde, par ailleurs vainqueur du meilleur film et du meilleur scénario original. Dans son discours fort, la comédienne a évidemment remercié le réalisateur Xavier Legrand et a adressé un message aux femmes victimes de violences.

Nous l'avions rencontrée en février de la même année, lors de sa sortie de ce film choc, qui sera diffusé pour la première fois en clair ce soir, sur France 2, suivi d'un reportage intitulé Amour à mort. Flashback.

 
Jusqu’à la garde : Le film-choc du début d’année [Critique]

En 2013, Léa Drucker fait la tournée des festivals pour y défendre Avant de que de tout perdre, court métrage sidérant d’un quasi inconnu, Xavier Legrand, portrait d’une mère de famille sous la menace d’un mari violent. Âpre, tendu comme un arc, le court métrage rafle pléthore de prix dont le César du court métrage en 2014.
Cinq ans plus tard, Léa Drucker reprend le rôle de Miriam dans Jusqu’à la garde racontant le divorce compliqué d’un couple avec pour enjeu la garde de son enfant mineur. La comédienne y impose une nouvelle fois sa présence aussi déterminée que fragile face au massif Denis Ménochet -qui aurait tendance à occuper tout l’écran. À l’image de leur confrontation brutale, Jusqu’à la garde est un uppercut cinématographique, un film où le sujet est parfaitement en adéquation avec la forme et qui vous laisse complètement groggy.

Lorsque vous avez tourné le court métrage Avant que de tout perdre en 2012, pensiez-vous que ces personnages, cette histoire et ce jeune réalisateur, Xavier Legrand, vous porteraient aussi longtemps et si haut ?
J’ai eu un coup de cœur pour Xavier dès notre première rencontre où tout a tourné autour du cinéma. Je lui ai notamment beaucoup parlé de Cristian Mungiu, de cette veine très spectaculaire, très tendue et très familière. Il m’a dit qu’il adorait… On a ensuite pris beaucoup de plaisir à faire le court métrage mais on ne pouvait pas imaginer la suite.

Aviez-vous la garantie de jouer dans le long métrage ?
Ça ne marche jamais comme ça. On a la délicatesse de ne pas s’imposer… J’en avais très envie et j’aurais bien sûr été triste que le long se fasse sans moi. Xavier m’avait d’ailleurs confié qu’il avait écrit le court pour moi, ce qui ne m’était jamais arrivé.

Comment ce personnage avait-il vécu en vous durant ces cinq ans ?
Je ne l’avais pas oublié, il était toujours dans un coin de ma tête. Avant la préparation, j’avais cependant une petite appréhension. Ça m’impressionnait de faire vivre Miriam sur un long. Le court était tellement fort, j’avais peur de ne pas être à la hauteur. Puis, quand nous sommes entrés dans le vif du sujet, c’est devenu très concret et cette question-là ne se posait plus. En plus, je n’étais pas seule. Il y avait le petit Thomas Gioria et, surtout, Denis Ménochet dont le rôle a pris plus d’ampleur. Ça changeait la dynamique de mon personnage : dans Jusqu’à la garde, Miriam est dans un état de sidération, d’observation, ce qu’elle n’était pas dans Avant que de tout perdre où elle agissait. Il fallait la faire exister autrement en sachant que c’est une femme en reconstruction.

Les Chatouilles, Jusqu'à la garde : les discours engagés des vainqueurs des César 2019

Le film est fondé sur une tension permanente entre vos personnages, avec une interprétation floue des intentions des uns et des autres. Comment joue-t-on à ce point le mystère et l’ambiguïté ?
Ça nous échappe un peu, à nous, acteurs, et il faut l’assumer. Comme il fallait assumer une certaine dureté du personnage face à quelqu’un qui lui apparaît menaçant. Cela crée en effet de la confusion chez le spectateur qui n’aurait pas vu le court. La juge le résume bien : “Qui de vous deux ment le plus ?” Cette ambiguïté renforce la tension dramatique.

Deviez-vous appuyer un côté vaguement manipulateur de Miriam pour atténuer le potentiel manichéen du personnage de Denis Ménochet ?
Bien sûr. Denis a de son côté fait un travail formidable sur son personnage pour lui donner plus d’humanité. C’est très perturbant d’ailleurs.

Sur le plateau, étiez-vous du genre à déconner entre les prises avec Denis ou ne faisiez-vous pas ami-ami pour rester dans l’énergie de vos personnages ?
Ça dépendait des prises en ce qui me concerne. J’ai en général besoin de rentrer dans un état proche du rêve éveillé. Avec Denis, que je connais très bien, nos rapports ont évolué au milieu du tournage. Comme l’histoire a été tourné de façon chronologique (pour ménager Thomas Gioria, qui joue mon fils), la tension entre nos personnages n’a cessé d’augmenter et on a senti qu’on avait besoin tous les deux de prendre un peu de distance. C’était instinctif.

Comment avez-vous géré les scènes les plus dures psychologiquement avec Thomas Gioria ?
J’ai été aidée par Xavier Legrand qui a parfaitement préparé Thomas en amont en lui parlant des violences conjugales et en s’assurant de son désir de jouer. Il y avait aussi Amour, sa coach (ça ne s’invente pas), qui le protégeait beaucoup. Entre chaque prise, on jouait au Uno, Thomas tapait dans la balle avec Denis… C’était à la fois ludique et professionnel. Au final, c’était facile de jouer avec lui, c’est un vrai acteur, il a compris ce que ce métier exigeait de soi. On ne lui a jamais extirpé les choses, il les proposait.

Xavier Legrand nous a dit que ce qui le passionnait était la direction d’acteurs mais qu’il n’avait pas de méthode particulière. Comment définiriez-vous le travail avec lui ?
Il émane de Xavier quelque chose de très sensible auquel on ne peut rester indifférent. Il est très inspirant. Il choisit par ailleurs le casting avec soin, ce qui contribue à l’émulation générale. Le cadre de travail est bien défini, rigoureux et, à l’intérieur de ça, il nous laisse pas mal de liberté.

Jusqu’à la garde est un grand film de mise en scène, très composé, avec une attention particulière portée aux sons ambiants, aux voix aussi. Cela participe-t-il de la direction d’acteurs ?
La psychologie des personnages en découle, en effet. Il faut savoir que ce travail sur le son était écrit dans le scénario. J’avais notamment été impressionnée par la description des ambiances dans la voiture : le bruit des ceintures de sécurité, de l’alarme, etc. Rien qu’en le lisant, je me sentais déjà oppressée. C’est plutôt rare.

Dans la scène de la fête, vous parlez aux autres personnages mais le son de votre voix est couverte par la musique. Saviez-vous qu’on ne vous entendrait pas à l’image ?
Je me disais que c’était probable (elle sourit). Le résultat est bluffant.

Comment passe-t-on à autre chose après un tel film qui, assurément, marque une date dans votre carrière ?
C’est en effet un film important pour moi mais aussi parce qu’il marque la naissance d’un cinéaste. Pour l’instant, je profite. Ça m’intéresse beaucoup d’en parler.

Êtes-vous prête à prendre la parole au nom des femmes victimes de violences conjugales ?
Je peux donner mon avis, j’en ai un, mais je n’ai pas envie d’être une porte-parole –je ne pense pas qu’on me le demande. Toutes les histoires sont tellement singulières que c’est difficile de s’estimer légitime sur la question.

Bande-annonce :


Le palmarès complet des César 2019