Marriage Story - Scarlett Johansson et Adam Driver
Netflix

Noah Baumbach propose une nouvelle anatomie d’un divorce, superbement interprété par Adam Driver et Scarlett Johansson, et signe son film le plus maîtrisé. Une merveille.

Le démarrage de Marriage Story, chronique de la séparation entre Charlie, metteur en scène new-yorkais prisé par la critique, et Nicole, actrice hollywoodienne à succès, donne le ton de ce qui va suivre. Un geste de scénariste éclatant qui donne à une histoire a priori banale un relief aussi pertinent qu’accrocheur. On y voit et entend deux portraits. Celui de Charlie par Nicole et celui de Nicole par Charlie. Deux portraits tendres qui racontent en quelques minutes, de façon légère, enlevée et joliment émouvante combien ces deux-là se sont aimés. Ces deux portraits sont écrits dans le cadre d’une thérapie de couple, ultime tentative de médiation qu’on comprend vite vouée à l’échec à la vue de Nicole incapable de lire le sien. La messe est dite. Ces deux-là, qui ne faisaient qu’un, vont reprendre leur liberté. Et les dommages collatéraux de cette rupture inévitable vont se faire jour avec, en point d’orgue, la bataille pour la garde du petit Henry, âgé de 5 ans, entre elle, repartie pour Los Angeles, et lui, rechignant à abandonner New York, terre de ses mises en scène.

Il existe, dans les carrières au long cours des cinéastes majeurs, des films marquant la fin d’une période et promettant une nouvelle à venir. Marriage Story apparaît comme l’un de ceux-là pour Noah Baumbach. D’abord parce qu’il explore à nouveau le terrain du divorce une douzaine d’années après Les Berkman se séparent, le long métrage qui l’avait révélé. Et, ensuite, parce qu’il entreprend ce voyage, nourri de sa propre expérience douloureuse : il a lui-même divorcé de Jennifer Jason Leigh au terme d’une procédure qui s’est étalée sur trois ans avant d’être prononcée en 2013

Marriage Story : Scarlett Johansson s’est inspirée de son propre divorce

PING-PONG VERBAL

Souvent galvaudée, l’expression "œuvre de la maturité" paraît ici trouver tout son sens. D’abord maturité quant au regard posé sur le sujet : on sent le vécu parfaitement digéré dans la manière dont il décrit avec minutie les rouages d’un système dévastateur dans lequel les avocats poussent à la guerre pour gonfler leurs émoluments.

Ensuite maturité du traitement. Comme si tous les films réalisés jusqu’ici par Baumbach l’avaient conduit vers celui-là. On y retrouve à son meilleur ce ton qui fait son style : ces ping-pongs verbaux incisifs qui donnent toute leur saveur au ballet des avocats (immenses numéros de Laura Dern et Ray Liotta) façon vautours affamés autour de ce couple en crise ; ce sens du comique de situation né de personnages sur le fil du rasoir comme cette assistante sociale neurasthénique venue vérifier si Charlie est un bon père. Mais souvent, ses contempteurs ont reproché à la machine Baumbach de tourner un peu à vide depuis Frances Ha, de signer des films de petit malin car trop conscients de leurs effets : While we’re young, The Meyerowitz Stories (New and selected)...

Marriage Story : deux teasers mélancoliques pour le nouveau film de Noah Baumbach

DUEL AU SOMMET

Marriage Story se situe à l’exact opposé de ces reproches. Ici, les dialogues percutants et les moments de comédie savoureux viennent tout à la fois nourrir et faire respirer un récit délicate- ment poignant sur le fait, banal finalement, de voir dans ce couple toutes les choses jusque-là supportées devenir intenables. Le sentiment de Nicole d’avoir tout sacrifié pour Charlie – elle a quitté LA et mis en sourdine sa carrière hollywoodienne prometteuse pour jouer dans le off-Broadway sous sa direction – alors que lui n’a fait aucun effort. Et, au contraire, l’impression pour Charlie d’avoir offert à sa femme de nouvelles perspectives bien plus passionnantes pour sa carrière – il ne comprend donc pas le début du commencement d’un reproche. Cette montée en tension au ton doux-amer finira par exploser dans un impressionnant affrontement où, enfin sans intermédiaire, les deux ex-compagnons se balanceront les pires horreurs à la figure et libéreront toute leur amertume pour pouvoir repartir sur des bases saines. Et pour retrouver l’essentiel : cette tendresse infinie, ce lien indéfectible entre deux êtres qui peuvent enfin garder unique- ment le meilleur de leur relation puisque le pire en a été expurgé. Ni guimauve, ni cynique, Marriage Story trouve en permanence le ton juste au fil d’un récit qui prend on temps sans jamais donner l’impression de lambiner, permettant des accélérations brusques et imparables. Dans les rôles principaux, Adam Driver et Scarlett Johansson sont au diapason : aussi impériaux de naturel dans les moments de passion joyeuse que de crise explosive. Deux des plus beaux rôles de leurs carrières dans le meilleur film de son réalisateur. 

Marriage Story sort le vendredi 6 décembre sur Netflix