Miss Peregrine
Bayard Jeunesse/20th Century Fox

L’adaptation de Tim Burton n’est pas tout à fait fidèle au roman de Ransom Riggs. Tant mieux ?

Avec Miss Peregrine et les enfants particuliers, diffusé ce dimanche pour la première fois en clair sur M6, Tim Burton revient à ses premières amours en suivant le quotidien d’enfants hors du commun. Ces orphelins capables de s'envoler, de créer des flammes ou d'apprivoiser des abeilles sont découverts par un adolescent, Jacob (Asa Butterfield), et élevés loin de tout sur une petite île britannique par une drôle de nounou capable de se transformer en oiseau. Ce rôle de Mary Poppins gothique va comme un gant à Eva Green, au cœur de cette histoire qui évoque à la fois X-Men (les pouvoirs et la guerre), Harry Potter (les pouvoirs aussi, l’enfance et le lieu coupé du monde) et Peter Pan (l’enfance, évidemment, ainsi que la boucle temporelle), mais est adaptée du premier roman de Ransom Riggs. Publié en 2012, ce livre -édité, ainsi que ses suites, en français chez Bayard- avait l'originalité d’inventer sa propre matière visuelle : pour illustrer les particularités des enfants, l’auteur s’est inspiré de clichés retouchés du XIXe siècle qui ponctuent le récit. Suite au joli succès du livre, ce trentenaire américain a écrit deux autres tomes consacré à Jacob et ses nouveaux amis, Hollow City (2014) et La Bibliothèque des âmes (2015), avant la sortie de l’adaptation proposée par Tim Burton, en octobre 2016 (et deux autres suites littéraires ont été publiées par la suite.

Cette version cinématographique est-elle fidèle au matériel original ? Pas vraiment. C'est d'ailleurs ce qui fait son originalité au milieu des adaptations de "Young Adults". A l'occasion de sa diffusion à la télévision, nous republions cet article consacré au travail d'adaptation de Tim Burton et de sa scénariste Jane Goldman (Kick-Ass, X-Men : Le Commencement...).

Miss Peregrine
Bayard Jeunesse

 

Les photos qui ont tout déclenché
"Avant même de lire le livre à proprement parler, j’étais fasciné par ses images, expliquait Tim Burton à Collider., quelques jours avant sa sortie. Parce que je suis moi-même collectionneur de photos. Bon pas autant que Ransom, mais ça m’intéresse. Il s’en dégage un mystère, de l’inquiétude, de la poésie... Elles racontent une histoire tout en gardant en même temps des secrets. Le fait de concocter une intrigue basée sur des photos était une idée brillante, j'ai beaucoup aimé ça. Donc avant même de l'avoir lu, j'étais conquis." Pourtant, les montages photo ne sont finalement pas au cœur du concept. On en voit durant le générique du début, et des clichés mélangés à des lettres du grand-père de Jacob sont ensuite utiles dans l’intrigue, mais elles sont loin d’être aussi cruciales que dans le livre.

 

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Ce qui a attiré Tim Burton sur le projet n’est donc plus vraiment présent dans son film, même si les pouvoirs des enfants, des Ombrunes (Miss Peregrine et les autres nounous), et des méchants, les Sépulcreux menés par Barron (Samuel L. Jackson), sont largement montrés… en mouvement, et non plus à l’aide de photos. Le réalisateur profite par exemple de la particularité d’Enoch, joué par Finlay MacMillan, qui peut donner vie à des objets (en l’occurrence des poupées, puis des squelettes) pour rendre hommage aux effets spéciaux de Ray Harryhausen.

Miss Peregrine
Bayard Jeunesse/20th Century Fox

 

La différence au cœur du projet
"Une fois que j’ai commencé la lecture, c’est le côté ‘différent’ des enfants qui m’a marqué, continue Burton. Le fait que le héros se sente spécial, bizarre, fou, qu’il ait du mal à s’adapter à la société… Quand on a ressenti ça enfant, ça ne nous quitte jamais. C’est ce sentiment qui m’a fait signer". Sur ce point, le film de Tim Burton est très fidèle au roman. Jacob ressemble trait pour trait au héros du livre, ses réflexions et interrogations sont reprises mot pour mot. Les autres enfants collent eux aussi à ceux présentés dans la version originale, à quelques détails près: les pouvoirs d’Emma et d’Olive ont été échangés, la particularité des jumeaux est révélée rapidement et Miss Peregrine, bien qu’elle ne soit pas une enfant, a bien changé physiquement, mais ces différences sont en fait assez anecdotiques.

 

 

Miss Peregrine
Bayard Jeunesse/20th Century Fox

 

Un film moins sombre, plus coloré
Si le "cœur" de Miss Peregrine est respecté, son ton est cependant plus léger à l’écran qu’à l’écrit - sauf en ce qui concerne un ajout du cinéaste, qui a un rapport avec les yeux, mais on n’en dira pas plus, car cela gâcherait une partie de l’histoire. La boucle temporelle créée par Miss Peregrine pour protéger les enfants leur offre notamment un havre de paix très coloré : ils jouent sous un ciel bleu dans un jardin verdoyant. C’était d’ailleurs frappant lors de la promotion du film, l’affiche du blockbuster étant aux antipodes de la couverture du livre (voir la photo en haut de l’article). Autre exemple marquant : si la guerre existe bien à l’écran, elle reste en arrière-plan, alors qu’une fois sortis de la boucle, les enfants du livre sont plongés en plein conflit.

 

 

Miss Peregrine
20th Century Fox

 

Les obsessions de Tim Burton sont bien là
Héros rejetés par la société, fascination pour les yeux et pour l’univers du cirque sont au cœur du film, alors que les deux derniers points ne sont pas présents dans le livre de Ransom RiggsCelui-ci avait d’ailleurs prévenu ses lecteurs avant la sortie du long métrage. En découvrant le film en avant-première, il précisait que Tim Burton avait pris quelques libertés avec son histoire "qui rendent le film meilleur, tout en honorant le fond du livre". Effectivement, la vision du réalisateur n’est pas fidèle à son récit. Contrairement à d’autres adaptations de romans pour ados (Twilight ou Hunger Games, par exemple), véritables transpositions filmées de sagas littéraires, Miss Peregrine respecte le "cœur" de l’œuvre originale, puis finit par se détacher fortement de son modèle. Au moment où la boucle temporelle se brise, Tim Burton se "libère" du livre pour inclure ses propres obsessions. Les scènes du cirque et de la fête foraine sont ainsi totalement inventées pour l’occasion. Son style est bien plus présent dans cette deuxième partie du film et le réalisateur peut s'amuser à s'auto-référencer, mais elle est aussi moins tenue, plus bordélique, en partie à cause de son utilisation de la boucle, qui n'est pas celle du livre. Une fois lancé dans cette voie, le metteur en scène finit même par offrir un "happy end" à ses héros, alors que le premier tome laissait les enfants particuliers un peu perdus… en attendant la suite.

Le film n'a pas connu assez de succès en salles pour que la 20th Century Fox ne lance la suite (il a tout de même rapporté près de 300 millions de dollars dans le monde, mais en avait coûté 110 sans compter sa publicité). Dommage, il aurait été intéressant de voir Tim Burton s'éloigner encore plus des romans, vu que le principe de la boucle temporelle n’a pas les mêmes conséquences à l’écran que sur le papier. On aurait ainsi pu suivre l'évolution de ces deux aventures portant le même nom, mais se déroulant en parallèle, une idée déjà exploitée à la télévision avec Game of Thrones, par exemple, où plus les saisons avançaient, plus la série s'éloigne de ce qu'avait imaginé George R.R. Martin.

La bande-annonce de Miss Peregrine et les enfants particuliers :

 


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