Affiches sorties de film mercredi 19 janvier 2022
The Walt Disney Company/ Metropolitan Filmexport/ Pyramide

Ce qu’il faut voir en salles

L’ÉVÉNEMENT
NIGHTMARE ALLEY ★★★★☆

De Guillermo Del Toro

L’essentiel

Fini les monstres gentils. Guillermo Del Toro abandonne le fantastique pour se frotter à son autre genre favori, le film Noir. Sans espoir, sans issue et sans le moindre succès aux USA.

L’écran de cinéma est un miroir. On espère le traverser à chaque fois que l’on s’assoit dans une salle, à la poursuite des lapins blancs que le cinéaste aura pris la peine de sortir de son chapeau. Dans Nightmare Alley, les miroirs sont partout. Guillermo Del Toro les envisage comme un objet de déni, une illusion autosuggérée. On s’y regarde sans se voir, on s’y voit sans se regarder, on y voit ce que l’on veut bien y voir. Jusqu’au jour où…

Un homme essaie d’échapper à un passé lourd comme le cadavre qu’il a dû traîner à bout de bras pour le faire disparaître. Cet homme est joué par Bradley Cooper, drôle de gueule d’ange indécidable. Dans sa fuite, il se réinvente comme forain, apprend l’art de la divination, absorbe tous les trucs mais ne retient aucune leçon, avant de continuer sur une lancée tragique qui le mène à sa perte, comme une toupie qui tourne de plus en plus près du bord de la table. Autour de lui, tous ne sont que freaks, personnages haut en couleur et réminiscences des racines du vieil Hollywood que Del Toro aime tant. Le spectacle, l’illusion, la foire, les faux monstres, les vraies cicatrices, les yeux qui brillent, les âmes qui brûlent. Petit à petit, le héros devient l’agent de son propre destin, donc de sa propre chute. Les femmes peuvent bien passer, anges ou démons, les facteurs peuvent bien sonner autant de fois qu’ils voudront, l’homme fatal, c’est lui, et il n’a besoin de personne pour se tirer lui-même vers l’abîme. Passé des coulisses des chapiteaux poussiéreux aux beaux milieux des grands hôtels et des salons chics des hyper-riches, le diseur de bonne aventure se fait agent de mauvais augure. L’échec fracassant du film au box-office US en est la conséquence directe, et la suprême ironie. Confronté à l’écran-miroir, il est sans doute plus facile pour le grand public d’aller se promener de l’autre côté que de faire face à la nature humaine dans ce qu’elle a de plus vertigineux. Dans Nightmare Alley, on la retrouve telle que l’a toujours révélée le film Noir. Un gouffre sans fond, un tunnel sans issue. Et sans la moindre lumière au bout.

Guillaume Bonnet

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PREMIÈRE A AIME

LA PLACE D’UNE AUTRE ★★★☆☆

De Aurélia Georges

Après deux films pointus (L’Homme qui marche et La Fille et le fleuve), Aurélia Georges s’aventure sur un terrain plus mainstream avec un récit situé au cœur de la première guerre mondiale. Gamine des rues ayant échappé à la misère en devenant infirmière sur le front, Nélie décide de prendre la place d’une jeune femme qui décède sous ses yeux et de se présenter chez la riche veuve qui devait l’engager. La Place d’une autre est donc le récit d’une imposture, contrariée par le retour de celle qui n’était donc pas morte, désireuse de reprendre sa place. Le classicisme assumé de la mise en scène paraît d’abord étouffer le romanesque d’un récit riche en tension et rebondissements. Mais ce parti pris finit par créer le parfait écrin pour densifier les échanges riches en non- dits entre Nélie et sa patronne (Lyna Khoudri et Sabine Azéma, remarquables) et cette relation quasi- filiale qu’aucune des deux n’avait anticipée.

Thierry Cheze

MEMORY BOX ★★★☆☆

De Joana Hadjithomas et Khalil Joreige

Entre Alex et sa mère Maïa, un sujet tabou freine toute confidence poussée : les années de jeunesse passées au Liban en guerre de Maïa dont veut préserver sa fille de ce qu’elle a pu y vivre. Jusqu’à ce jour de Noël où elles reçoivent à Montréal un mystérieux colis en provenance de Beyrouth : des cahiers, K7 et photos, fruit d’une correspondance entretenue par Maia, de 13 à 18 ans, avec sa meilleure amie partie à Paris pour fuir la guerre civile, et dans lequel Alex va se plonger en cachette. Très autobiographique, Memory box est un beau film sur la transmission, le droit et le devoir de mémoire. Il séduit par son kaléidoscope d’images entre vraies vidéos et photos animées, faux films et souvenirs réels. Ce puzzle entraîne le film dans un geste poétique, percuté hélas par certains dialogues et commentaires en off, qui viennent préciser inutilement ce qu’on avait parfaitement ressenti.

Thierry Cheze

LOS LOBOS ★★★☆☆

De Samuel Kishi Leopo

Raconter l’immigration à hauteur d’enfant, telle est l’ambition de ce premier long de Samuel Kishi Leopo, inspiré par sa propre histoire. Celle d’un gamin et de son frère qui quittent le Mexique pour les Etats- Unis avec leur mère Lucia, à la recherche d’une vie meilleure. Son parti pris consiste donc à suivre, pendant que Lucia travaille, les journées de ces deux enfants, cloîtrés dans leur appartement miteux pour se protéger du danger extérieur en apprenant l’anglais sur des K7 pour exaucer leur rêve : visiter Disneyland. Leopo trouve le ton juste pour raconter ces journées interminables et sur un fil où tout peut basculer en un instant du cauchemar vers l’enfer. Avec cette belle idée d’insérer des parties animées (racontant les histoires qu’imaginent les deux frères) dans cet univers ultraréaliste ou de tourner en scope pour accentuer la sensation d’immersion du quasi huis clos. Fuyant tout pathos, le résultat se révèle bouleversant.

Thierry Cheze

THE CHEF ★★★☆☆

De Philip Barantini

Panique en cuisine ! C’est le coup de feu dans un restaurant étoilé londonien, et le réalisateur Philip Barantini veut nous faire ressentir la pression qui pèse sur les épaules du personnel à travers ce film immersif, constitué d’un long plan-séquence. Quelque chose comme le 1917 de la gastronomie. Passant des cuisines à la salle, des cuistots aux clients, The Chef présente une très attachante galerie de personnages, tous brillamment caractérisés, en deux coups de cuillère à pot. Le seul véritable défaut du film est qu’il a la main un peu lourde quand il se concentre sur la dérive existentielle pathétique du chef du titre (le toujours magnétique Stephen Graham), alors qu’on aurait pu se contenter d’admirer la caméra slalomer entre les tables, et de zapper entre ces jolis portraits humains saisis sur le vif.

Frédéric Foubert

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PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIME

L’AMOUR C’EST MIEUX QUE LA VIE ★★☆☆☆

De Claude Lelouch

C’est le 50ème film de Claude Lelouch, mais celui-ci ne compte pas profiter de ce chiffre symbolique pour tirer le rideau : au contraire, L’Amour c’est mieux que la vie (ce titre !) se présente comme le début d’une nouvelle trilogie. Gérard Darmon y joue un homme mourant à qui ses deux meilleurs potes vont offrir, sans qu’il le sache, les services d’une escort-girl, chargée de mimer le coup de foudre. L’argument est un peu daté, les scènes s’étirent parfois au-delà du raisonnable, le casting est franchement extravagant (de Robert Hossein à Kev Adams), mais, comme dans Les Plus belles années d’une vie, Lelouch explore joliment la tension entre sa volonté de se confronter à la mort et l’élan vital phénoménal qui continue de caractériser son cinéma. Son inextinguible soif d’images, son envie de filmer à l’infini, forcent quand même le respect.

Frédéric Foubert

LES LECONS PERSANES ★★☆☆☆

De Vadim Perelman

Quand il est arrêté et déporté dans un camp en Allemagne en 1942, Gilles (Nahuel Perez Biscayart, épatant) croit sa dernière heure venue. Mais son instinct de survie se révèle plus fort que tout. Il jure ne pas être juif mais persan et se retrouve à devoir donner chaque jour à un des chefs du camp des cours de farsi… qu’il ne parle donc pas. Et pour ne pas voir la supercherie éclater au grand jour, le voilà qui, chaque nuit, apprend une langue imaginaire pour l’enseigner le lendemain à celui qui l’abattrait s’il découvrait le pot- aux- roses. Un point de départ original pour un scénario qui séduit par sa gestion des rebondissements et sa capacité à maintenir la tension intacte. Dommage que la mise en scène académique de Vadim Perelman enferme le film dans un classicisme à contre- courant de la fuite en avant loin des sentiers battus, elle, de son héros.

Thierry Cheze

MICHAEL CIMINO, UN MIRAGE AMERICAIN ★★☆☆☆

De Jean- Baptiste Thoret

En 2010, le journaliste Jean-Baptiste Thoret signait le livre Michael Cimino : Les Voix perdues de l’Amérique, reposant sur un long entretien que le Français avait obtenu de l’auteur du Voyage au bout de l’enfer. Il recycle ici cette parole éraillée dans ce documentaire un peu foutraque, censé traduire la place à jamais manquante d’un cinéaste qui se sera sabordé lui-même (cf. le fiasco de La Porte du paradis en 1980) Le film de Thoret débute à Mingo Junction dans l’Ohio ex-ville ouvrière aujourd’hui au repos forcé, où a été tourné Voyage au bout de l’enfer. Après 45 minutes émouvantes où se dessine la désolation de tout un pays, le film prend la tangente vers l’Ouest et ressuscite (enfin) la voix de Cimino. Un autre film démarre qui fait mine d’embrasser une œuvre pour la réhabiliter mais s’arrête en route pour revenir invariablement à son point de départ. Frustrant.

Thomas Baurez

LYNX ★★☆☆☆

De Laurent Geslin

C’est un film construit sur une décennie, entre les recherches et son tournage. Mais avant tout une passion et une quête. La passion du photographe animalier Laurent Geslin (qui signe ses débuts de réalisateur) pour le lynx, l’un des rares félins à n’avoir jamais eu droit à son documentaire dédié. La quête du même Geslin face à cet animal d’une discrétion redoutable, capable de passer sous votre nez deux fois dans la même journée et de ne plus réapparaître pendant 8 mois. Lynx raconte donc l’histoire d’un film dont le héros… aurait pu ne jamais pointer le bout de son nez. Ici, nulle trace de spectaculaire fabriqué, de ralentis chiadés. Dommage alors qu’en contradiction avec ce parti pris de réalisation, Geslin ait choisi de scénariser son récit, de faire appel à des voix- off explicatives. Bref de reconstituer toute son épopée de manière trop maladroite et brinquebalante pour ne pas en perdre une grande partie de la saveur.

Thierry Cheze

 

PREMIÈRE N’A PAS AIME

HORS DU MONDE ★☆☆☆☆

De Marc Fouchard

Un chauffeur de taxi, meurtrier et mélomane, fait la connaissance d’une jeune fille sourde. Celle-ci parviendra-t-elle à entendre et à calmer la bête ? Dit comme ça, ça fait un peu beaucoup. Et il faut bien reconnaître que la mise en scène ne fait pas grand-chose pour alléger l’ensemble. L’acteur principal (Kevin Mischel) est à l’image de son personnage, laissé à l’abandon d’un monde (d’un film) qu’on ne voit jamais. Le cinéaste parie sur sa simple présence (indéniable) pour feindre une fragilité prête à tout faire exploser. La caméra accentue la pose en accumulant des séquences descriptives, sources d’aucun malaise. Dès lors ce voyage au tréfonds d’une âme en peine et malade, ressemble à une fuite en avant où tout ce qui peut advenir - prévisible ou non - n’est le résultat d’aucune progression tangible.

Thomas Baurez

 

Et aussi

Euridice, là- bas…, de Susanna Lastreto Prieto

The Housewife, de Yukiko Mishima

Ladakh- Songs of the water spirits, de Nicolò Bongiorno

Tendre et saignant, de Christopher Thompson

Reprises

L’Elu, de Jeremy Paul Kagan

Le Mari de la femme à barbe, de Marco Ferreri