Twilight, Chapitre 4 : l’interview intégrale de Kristen Stewart
SND

Une sociologue des médias décrypte le message de la saga Twilight.

Twilight, qui vise un public de filles jeunes, est-il anti-féministe ? En tout cas, selon la sociologue des médias Divina Frau-Meigs, le « girl power » véhiculé dans la saga de la mormonne Stephenie Meyer est très ambigu. A l'occasion de la sortie du 4e épisode au cinéma, l’auteure de Socialisation des jeunes et éducation aux médias décrypte ce que dit vraiment le soap vampirique aux adolescentes d’aujourd’hui.

Divina, qu’est-ce que vous entendez par « girl power », et sous quelle forme est-il présent dans Twilight ?
Ce qui est intéressant avec cette expression, c’est qu’elle ne signifie pas ce qu’elle veut dire. Je m’explique. On pourrait penser que le Girl Power c’est le pouvoir aux filles, ce qui serait une vision libertaire (comme dans les revendications féministes des 60’s). En fait c’est un terme trompeur qui désigne le pouvoir des filles. Sous-entendu leur sexualité. Selon moi, on est actuellement dans une sexualisation précoce des filles, à la fois dans les films et les romans de la saga Twilight.   

Dans vos recherches, vous faites la différence entre « pouvoir des filles » (« girl power ») et la « prise d’autonomie » (« empowerment »). Vous pouvez nous expliquer  ?   
C’est toute l’ambiguïté de Twilight. Le pouvoir aux filles, la vraie liberté, c’est la prise d’autonomie, l’ « empowerment » par rapport à l’autorité masculine, à la famille, etc. C’est littéralement l’émancipation et l’indépendance des femmes. Le « girl power » de Bella est complètement différent. Dans sa version humaine, mortelle, elle est fragile et déstabilisée par plein de choses (le divorce de ses parents, le déménagement, etc). Elle ne devient maîtresse d’elle même qu’à sa mort. C’est la mort qui lui permet d’accéder au pouvoir. Et pour elle ce sera notamment celui de procréer, puis dans l’épisode 5, celui de faire écran.   

Si je résume, Bella gagne son pouvoir en se mariant. Pas très féministe tout ça…   
Oui ! (rires). C’est toute l’ambiguïté de Twilight ! Bella arrive à prendre du pouvoir, mais par le mariage, la production d’un enfant et la mort. Evidemment on peut le voir de manière symbolique comme une mutation que permet le mariage, la sexualité assumée, avec toutes les sécrétions corporelles, etc. Mais elle est restée vierge jusqu’au mariage. Et c’est son vampire de mari qui l’a voulu ainsi. C’est vraiment le mélange de deux systèmes de valeurs. Pour moi, le succès sociologique de la fantasy vient de là.   

C’est-à-dire ?   
La fantasy, et en particulier lorsqu’elle parle de vampires, met en scène deux univers paradoxaux, normalement irréconciliables - les valeurs de la liberté des femmes et les valeurs de l’autorité masculine – dans un récit où l’héroïne ne choisit pas. Elle va finir par avoir les deux. Bella sera une fille au pouvoir, et une fille de pouvoir. Mais ça implique une mutation et un coût personnel irréalisable dans la réalité. On est bien dans la fiction, qui joue sur le dilemme éthique dans lequel se trouvent les jeunes filles d’aujourd’hui. Soit renoncer à leur virginité avant le mariage, au risque de se retrouver seules ou perdues, soit s’inscrire dans un schéma plus classique qui peut relever du jackpot, avec mari, famille, amour et tout le bataclan.    

Le succès de Twilight viendrait de là ?   
Oui, Twilight ne doit pas son succès qu’à Robert Pattinson. Car la saga vient répondre au grand dilemme éthique des jeunes d’aujourd’hui, et notamment des jeunes filles.   

C’est une vision très américaine pourtant. Comment expliquer ce phénomène d’identification quasi-mondial ?   
Twilight correspond à un phénomène massif du monde occidental et des pays émergents : le désarroi face au changement de statut des femmes. On vit actuellement une régression des acquis du féminisme 60’s, sous couvert d’une sexualisation et d’une réappropriation du corps.    

Et Twilight véhicule ça ?   
Bien sûr. C’est même pire, parce qu’aujourd’hui, les enjeux féministes sont carrément dépolitisés. On gomme les enjeux d’autorité.    

C’est à dire ?  
Si on regarde bien, ce sont les hommes qui veulent protéger les femmes et les maintenir dans leurs droits acquis, et les femmes qui sont prêtes à y renoncer. Cette inversion est étonnante. Et pas tenable. La preuve, Edward ne peut pas se retenir. Il va mettre enceinte Bella alors qu’il ne l’avait pas prévu. Pour moi il y a une lecture très conservatrice de ces enjeux dépolitisés : la saga est anti-avortement, pro-life, pro-mariage, prône la pureté et l’abstinence…La totale ! Le fait que lui soit vampire et pas elle permet de mettre en valeur tous les pouvoirs d’érotisation de l’abstinence et de la remettre au centre des enjeux amoureux comme à l’époque victorienne...   

Vous parlez d’un nouveau romantisme en somme ?  
Oui, mais nous ne sommes plus au XVIIIe ou au XIXe siècle, du coup, ça pose problème. On est aujourd’hui dans un désarroi amoureux très fort. Les jeunes n’ont plus de repères, et on leur propose des scripts extrêmement régressifs. Mais sans anxiété, c’est ça le génie de  Stephenie Meyer. Du morbide sans crainte, c’est très fort ! (rires) Avec des vampires végétariens…On est dans une révision très large des rapports amoureux, et ce qui en ressort n’est pas très clair, pour moi.   

L’idéal, dans Twilight, est incarné par les vampires. 
La réalité de Bella, engendrée par la libéralisation des femmes (possibilité de divorcer, de s’autonomiser, de se débarrasser de son enfant) est moche. Très négative. Elle se retrouve à paterner son père et à materner sa mère, séparés. Le monde des vampires est meilleur : ils sont immortels. Personne ne se sépare. Et puis c’est bien, parce que personne ne se reproduit (rires) – un des éléments de la libération des femmes est introduit ici mais de manière étrangement négative ! Quand ça se produit dans le cas de Bella, ça va enclencher une guerre de vampires, donc c’est très grave ! On se trouve dans un univers avec des choix très contraignants, mine de rien.     

Pensez-vous que le public de jeunes filles retient cette idée là de la saga ?   
Non, je ne suis pas sûr. Les retours que j’ai sur mon blog, c’est plutôt : « vous démythifiez tout, et l’amour dans tout ça ? » J’ai envie de répondre : oui, certes, mais il y a plusieurs propositions de l’amour ! Ce qui plait, c’est le romantisme du film.  

…Le côté Roméo et Juliette chez les vampires. 
Oui, mais le public est aussi sensible à l’érotisation des rapports. La découverte du corps, concrète. En tant qu’adulte, on voit quelque chose de plus violent dans Twilight : une romance hétérosexuelle et pas autre chose, la reproduction, quand elle est pas bien contrôlée, c’est la cata, l’amour dans le mariage…Etc. Il y a un message très prescriptif, finalement, à travers Bella. Car c’est elle, et elle seule, qui parle dans Twilight. Mais je sais que Stéphanie Meyer est en train d’écrire le point de vue d’Edward. Pour se rattraper sans doute, car elle a du se faire allumer par les féministes !   

Vous déconseilleriez Twilight à votre fille ?  
Non. J’en ai parlé à ma fille car la question n’est pas de censurer. Au contraire, il faut décrypter. Derrière ces personnages aux visages lisses, et à la psychologie basique mais séduisante, il y a une idéologie. Le vampire façonne la femme à son bon vouloir, en fait une femme séduisante comme on en voit dans Sex and the City. La sexualité reste le continent noir, dangereux. Ajoutez cela au contexte américain, avec le retour à l’abstinence et à la pureté proclamée par les conservateurs du Tea Party, l’émergence des pro-life comme Sarah Palin, qui refuse que sa fille mineure avorte… Et une morale mormone véhiculée par Meyer, élevée dans cette tradition. Je n’arrive pas à être positive sur Twilight. Mais c’est bien fait, et donc pervers ! Donc pour moi, il faut aller voir Twilight, et le critiquer sévèrement pour son aspect régressif.   
Propos recueillis par Eric Vernay   

Divina Frau-Meigs : sociologue des médias spécialistes des mondes anglophones et professeurs à la Sorbonne Nouvelle, auteure de la Socialisation des jeunes et éducation aux médias (chez Eres).