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Un Homme intègre vient de remporter le prix Un Certain Regard. Rencontre avec Mohammad Rasoulof, cinéaste qui tente de bousculer l'imagerie du ciné local

Dès les premières images, Un Homme intègre convoque non pas les réminiscences du cinéma iranien, mais les souvenirs d'un cinéma noir et rural hollywoodien. Reza, le héros, élève des poissons et va se transformer en vigilante face aux visées prédatrices d'une compagnie privée. Mohammad Rasoulof dénonce les gangrènes de son pays et capte la colère du pays pour en extraire des visions dantesques. Interview avec un cinéaste sous influence...

Devant le film, on pense à des cinéastes iraniens comme Kiarostami ou Asghar Farhadi, mais l'influence la plus forte c'est peut-être le film de genre américain – thriller, film noir ou néo-noir. Vous confirmez ?

Tous les films que je vois me nourrissent et influencent mon travail, mais vous savez, quand je passe à la réalisation, c'est beaucoup plus mon inconscient qui travaille que ma conscience.

Je pense en particulier à Mr. Majestyk, un film des 70’s avec Charles Bronson, qui parle aussi de défendre son territoire.

Je ne le connais pas, mais c’est toujours intéressant de voir comment deux cinéastes racontent une même histoire. Bien sûr, des situations similaires peuvent entraîner des comportements similaires. C'est peut-être pour ça que je me sens très proche du cinéma roumain. On m'a aussi dit qu'en Chine mon cinéma est très connu, peut-être parce qu’ils vivent des situations semblables.

Le film a cette manière décrire une situation sociale tout en sortant de la réalité. Vous créez une vision dantesque, une vision de cauchemar…

La situation sociale qui est décrite est proche de la réalité cauchemardesque que nous vivons. Il faut montrer comment la structure en place influe sur la vie intime des individus. L'enfer que vous apercevez est celui d'un homme qui a fui son environnement et s'est retiré pour mener une vie paisible. Il se retrouve dans une situation inattendue qui lui fait tout perdre, et doit faire face à un dilemme. Est-ce qu'il aspire encore à une vie paisible ou choisit-il de devenir un agresseur ? Quand il va dans un café, personne ne le remarque, mais le jour où il affiche son visage le plus violent, tout le monde s'incline devant lui. Je parle de gens qui fuient un agresseur pour en retrouver un autre.

Justement, le personnage principal est pensé comme quelqu'un de docile, qui n'est pas dans l'action. C'est plutôt sa femme qui prend les devants.

Si je devais décrire Reza, je dirais que c'est un escargot. Il a un corps très vulnérable et s'est retranché dans sa carapace. Ce genre d'homme a besoin d'une femme forte à ses côtés, sinon il se détruit très vite.

C'est ce qui permet de remettre une problématique sociale sur le tapis puisque c'est, de manière générale, plus difficile pour les femmes de s'imposer, en particulier en Iran.

Les femmes sont vraiment fortes en Iran. Dans mes films précédents, à cause des conditions de production, je n'avais pas pu montrer le rôle des femmes dans notre société. J'attendais de pouvoir surmonter cet empêchement. J'aime donner à voir la force des femmes iraniennes et je continuerai de le faire autant que possible.

Vous comparez le héros à un escargot mais il y a une scène où il se plonge lui-même dans l'eau. Quelle est la métaphore ?

C'est un moment d’isolement et d’intimité. Il essaye de se maîtriser, de ne pas s'entêter pour ne pas nuire à son entourage. Mais plus il se retire, plus il se fait agresser. En dernier recours, il décide de choisir la position de l'agresseur. A ce moment, on l'entend pleurer car la honte est en lui, il n'est pas mort et sa conscience est toujours active. On ne sait pas quel sera son choix le lendemain. Peut-être qu'il retrouvera ce qu'il a perdu…

Vous affirmez votre intérêt pour le cinéma roumain, où on trouve souvent un comique très étrange et décalé. Est-ce que vous pourriez filmer la situation tragique de l'Iran de façon comique ?

Ça va bien finir par se produire. Comme on dit en persan : « mon rire amer est plus triste que nos pleurs, je suis au-delà des larmes donc je ris. »

D’après vous, dans le cinéma iranien récent, qu'est-ce qui vous distingue des dernières tendances qu'on a vues apparaître ?

Je n'ai jamais réfléchi à cette question. Le cinéma iranien est une route et chaque cinéaste a sa propre voiture. Vous avez peut-être une vue plongeante qui vous permet de comparer nos trajectoires, mais nous, nous sommes à l’intérieur de nos véhicules. Tout ce que je peux dire, c’est que que Le Vent nous emportera reste l’un de mes films préférés. Tous les jeunes cinéastes iraniens se sentent redevables à Kiarostami et sa génération.