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Sous ses gags irresistibles, le nouveau film des frères Coen produit plus de sens qu'il n'y paraît.

Périodiquement, les Coen reviennent à une forme de légèreté à la suite d’un projet plus substantiel : Intolérable Cruauté après L'homme qui n'était pas là, ou Burn After Reading après No Country for Old Men. A chaque fois, George Clooney est présent dans un rôle de crétin (numbskull, selon leur propre terminologie). Ave César fait exception dans le sens où il dépasse la farce insignifiante pour rendre hommage à une façon révolue de faire du cinéma. Les Coen s’en acquittent brillamment avec leur habituel mélange d'érudition amusée et de lucidité caustique, conscients des paradoxes et des contradictions d'un système qui les a fascinés comme il a fait rêver l'Amérique et la terre entière.

Avé César divise la critique américaine

Parodie ou pastiche ?

Il faut dire que les frères sont en terrain connu. Comme dans Barton Fink, mais sprodoans la dimension fantastique, l'action se passe au début des années 50 dans un studio  qui porte le même nom fictive : Capitol pictures. Eddie Mannix, le personnage principal, emprunte son nom à un personnage réel. Joué avec la rigidité nécessaire par Josh Brolin, il est un "fixer", celui qui arrange tous les problèmes au jour le jour : une starlette impliquée dans un shooting de photos compromettantes, une star de comédie musicale enceinte mais pas mariée, les menaces permanentes de la presse à scandale (personnalisée par Tilda Swinton dans un double rôle), l'acteur principal d'un peplum christique qui disparaît en plein tournage.

Ce n'est pas la première fois que quelqu'un montre l'envers du décor de l'usine à rêves, mais les Coen sont bien placés pour le faire. Cette fois, ils montrent plusieurs films dans le film : un peplum situé pendant l’avènement du christianisme, un ballet aquatique, un western musical  niais, un drame en chambre exagérément sophistiqué, un numéro de claquettes avec des marins. Chaque séquence est reproduite avec un perfectionnisme minutieux doublé d’une délectation sincère qui atténue les éventuelles intentions sarcastiques, au point de brouiller les frontières entre parodie et pastiche. 

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La religion du cinema  

Apparemment, les Coen se dispersent un peu en tirant dans tous les sens, mais c'est pour mieux se rattraper à la suite de l'inflexible Mannix, qu'il n'est pas difficile de prendre pour une figure christique. Dès le début, il apparaît comme un catholique convaincu (que son modèle était dans la réalité). Il passe tous les jours au confessionnal pour avouer des peccadilles alors que son activité consiste à étouffer des scandales énormes. Dévoué à la cause à un degré qui frise le sacrifice, il semble recevoir ses ordres de Dieu le père (Nick Schenk, l'invisible directeur du studio, était aussi le vrai nom du patron de la MGM). Mannix a même droit à son moment de doute et de tentation, lorsqu'il est démarché par une compagnie qui lui propose "un vrai métier", stable et bien rémunéré, qui consiste à développer un programme de bombes atomiques. Au delà de ses confessions dérisoires, Mannix est vraiment un homme de foi, dont la vraie religion serait le cinéma, celui qui a façonné la conscience morale, mythologique et esthétique de l'Amérique.

La seule faiblesse du film est son traitement des scénaristes communistes, representés comme des gentils idéologues sectaires. Pour une approche plus frontale du maccarthysme, il vaut mieux se reporter sur Trumbo, qui sort bientôt. De leur côté, les Coen n'en disent pas beaucoup plus sur les scénaristes frustrés et sous-évalués que ce qu'ils avaient déjà développé dans Barton Fink. Mais d’autres sujets sont abordés avec franchise, comme la question des homosexuels et l'importance à l'époque de rester discret et de garder les affaires dans le placard.  

Les gags coulent tout seuls et frisent parfois la désinvolture, mais la plupart du temps, ils sont irrésistibles et davantage chargés de sens qu'ils n’en ont l'air. Pour ne citer qu’un exemple, Frances Mc Dormand joue une monteuse et, à l'ocasion d'une fumeuse réaction en chaîne, elle provoque un accident de montage qui corrige une scène par nature défectueuse pour cause d’erreur de casting. Le mot de la fin revient à Mannix, sommé de choisir entre deux options : rester à Hollywood ou trouver enfin la stabilité ? Autrement dit, s’amuser avec les fous ou mourir d’ennui avec les gens en costume ? Pour lui, comme pour les Coen, le choix est vite fait.

Ave César de Joel et Ethan Coen sort en salles le 17 février