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 Lors du dernier festival de Cannes, on ne parlait que de cette séquence - immédiatement rebaptisée "peegate" - et vous ne risquez pas de l’oublier. Au milieu de Paperboy, Zac Efron se fait piquer par des méduses et sort de l’eau à moitié comateux... Nicole Kidman acourt vers lui, enlève sa culotte et lui pisse dessus. Infamant ? Provoc ? Humiliant ? “Mais non, répondait tranquillement Lee Daniels lors de la conférence de presse, c’est vraiment le remède pour soigner une piqure de méduse”. Il n’existe par contre aucun remède à la violence et au choc que provoque son Paperboy. Lee Daniels n’a peur de rien, suit jusqu’au bout ses instincts de cinéaste, ses délires limite déviants (la scène où Kidman mime une pipe à John Cusak, fascinante) quitte à laisser tomber personnages et logique. C'est à ce prix qu'il fait du cinéma !Mais contrairement à ce qu’il essaie de nous faire avaler, Daniels sait très bien ce qu’il fait. “J’ai fait Paperboy parce que je suis un réalisateur black et gay. Dans les années 80, j’ai eu des relations sexuelles avec beaucoup de blancs qui refusaient de me voir en public. Parce que j’étais noir. Ca les gênait et ça les gênait encore plus de penser ça. Ils se détestaient. J’ai fait ce film parce que mes sœurs étaient en prison et qu’elles écrivaient à des hommes en prison. J’ai fait ce film parce que mon frère purgeait une longue peine de prison. J’ai pris soin de ses enfants et il a rencontré des femmes qui lui écrivaient pendant sa détention. Je comprends ces gens, ces personnages parce que je les connais. Bienvenue à ceux qui ne les connaissent pas !” Bienvenue ? Vraiment ? Si on a du mal à qualifier son cinéma d’accueillant, rencontrer le personnage n’arrange pas les choses. A Cannes, face à une dizaine de journalistes, Daniels cherchait clairement les embrouilles.Qui n’a pas aimé mon film ?” lançait-il pour ouvrir le bal. Il suffisait de lever la main pour devenir la cible du cinéaste : “Pourquoi ? Qu’est-ce qui te gêne ? Ca te choque ? Mais la réalité est comme ça mon grand, non ?”. Oui. Non. Euh.... Au fond, on s’en moque. Parce que ce que recherche précisément Daniels c’est la provoc. On peut le croire quand il dit qu’il sait de quoi il parle, moins quand il prétend que son but est de raconter des histoires. Daniels c’est donc ce réalisateur black et gay à qui deux actrices noires doivent leur Oscar. La première, Halle Berry, pour sa scène de cul anthologique avec Billy Bob Thornton - dans A l'ombre de la haine (que Daniels avait conçu et produit). La seconde, Monique, pour ses cascades dans les escaliers dans Precious, le film que toute la presse a aimé et que désormais, toute la presse aime détester. On est tous d’accord aujourd’hui pour reconnaître que Precious était un monument de racolage (l’enchainement entre le viol et le plan sur un morceau de porc qui grille, vous vous souvenez ?), un festival de kitsch qui secouait le spectateur et vomissait sur la bienséance de l’Amérique WASP. Un geste de cinéma (ca déborde dans tous les plans) et une revendication brutale (sur la condition black) et vénère.     Paperboy est pareil. Une histoire de presse, dans le sud américain des 60’s, autour du cas d’un shérif assassiné et d’un tueur présumé (John Cusack) que des journalistes et une blonde vulgaire (Nicole) se mettent en tête d’innocenter. Il y a un bouquin (même titre, signé Pete Dexter), il y a longtemps eu un projet d’Almodovar, il y a désormais ce film stupéfiant de trashitude décomplexée (pipi, sperme, pipe, SM tordu). Daniels travestit le roman de Dexter pour faire de son film une coming of age story hardcore doublée d’une fable sur le racisme 60’s. C’est choc, brutal. Sans limite. Le film pourrait être du Almodovar première période (pour le kitsch effréné) ou du John Waters et au fond, qu’on n’aime ou pas n’est pas le problème. Force est de reconnaître que c'est du cinéma. Oui, Paperboy est loin d’être parfait, mais Daniels réussit tous les morceaux de bravoure, qui sont aussi des vrais morceaux de malaise et de cinéma. Le fond trash et gay est assumé, revendiqué, porté en étendard; et son cinéma, à force de vous rentrer dans le lard, finit par fasciner et vous happer. C’est sa force.Dans un environnement où les films sont devenus absolument safe, où personne n’ose plus sortir des clous, sa provoc et sa violence sont quasiment salutaires.                                Pierre Lunn