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Parmi la cinquantaine de clips réalisés par David Fincher entre 1984 ("Dance This World Away" de Rick Springfield) et 2013 ("Suit & Tie" de Justin Timberlake featuring Jay-Z), nous en avons retenu dix. Une sélection forcément contestable et non-exhaustive, dans laquelle nous avons essayé de débusquer les différentes facettes et obsessions du réalisateur de Gone Girl. La collaboration entre David Fincher et Trent Reznor ne date pas de son dernier film Gone Girl. Depuis The Social Network en effet, toutes les B.O de Fincher sont le fruit du cerveau malade du leader de Nine Inch Nails, associé à l'anglais Atticus Ross. Mais en 1995 déjà, le métal industriel et électronique de l'Américain, remixé pour l'occasion, servait d'écrin inquiétant au mythique générique de Se7en conçu par Kyle Cooper. Et s'il n'est pas l'auteur du score de Fight Club, l'ombre de Reznor y plane néanmoins : l'album de NIN The Downward Spiral est cité comme influence majeure par Chuck Palahniuk, l'auteur du roman, en particulier le morceau "Hurt".Dans les années 2000, David Fincher a quasiment laissé tomber sa carrière de clippeur. Focalisé sur le cinéma, il n'a réalisé que deux vidéos musicales en dix ans, mais pas des moindres : l'asphyxiante "Judith" pour A Perfect Circle (dont on vous parlait ici) et celle qui nous intéresse, "Only" pour Nine Inch Nails, donc. Un clip au pouvoir de sidération intact, qui condense les principaux motifs et obsessions de son auteur. Il débute un peu comme celui de "Freedom! '90" de George Michael : dans la lumière froide et bleutée d'un appartement, une caméra mobile flotte à travers les objets tel un fantôme et un disque se met en marche. Ensuite, tout se dérègle. A l'époque, la musique émanait d'un vinyle, là c'est un ordinateur portable. La musique s'est dématérialisée. Les personnages aussi. Plus de top models à l'horizon : l'espace s'est dépeuplé. A l'instar de sa vidéo en trompe l'oeil pour "Heart Of Gold" de Johnny Hates Jazz, mais aussi de l'enquête spectrale de "She's a mistery to me" de Roy Orbison, Fincher donne ici à voir une pièce vide, dans laquelle tente d'exister un être. Les paroles angoissées de Trent Reznor parlent de cette perte de réalité, du vertige de sa propre disparition, de son éloignement au monde. Elles décrivent la "dérive vers l'abstrait" d'un être devenu absolument insulaire : "il n'y a pas de toi, il n'y a que moi", chante Reznor. Le narcissisme gangrenant Gone Girl est déjà en germe.Cette incommunicabilité et cette profonde solitude sont illustrées avec une idée visuelle de génie : enfermer Trent Reznor dans une sculpture "Pin Art". Tel un spectre, le visage du chanteur apparait en 3D sous la forme d'une empreinte d'acier, dessinée par les clous dans un socle rectangulaire. De sorte que le personnage semble déborder du cadre, tout en restant son tragique prisonnier. Fincher s'inspire sans doute de ce clip en Pin Art de 1985 ("If I Was, de Midge Ure) mais on pense surtout à l'écran membrane du Videodrome de David Cronenberg. Et à The Game : durant le journal de 20h, le présentateur se mettait à parler directement à Michael Douglas, abolissant la frontière entre la réalité et sa représentation, le spectateur et l'illusion du film.Outre cette mise en abîme de l'écran dans l'écran, l'image cloutée évoque enfin un masque mortuaire, un tombeau dont le résidant aliéné voudrait s'extirper. Autour de lui, des objets : une tasse de café, un laptop, des pommes et un balancier à boules - notons d'ailleurs que cette pendule de Newton, équivalent symbolique du sablier pour exprimer le passage du temps, apparaissait déjà dans The Game. Ces natures mortes fascinent Fincher, qui les anime, les dérange. Pour cela, il trafique la réalité.Car hormis les doigts de David Fincher tapotant son laptop et les voitures au second plan, rien n'est "vrai" dans le clip de "Only". Cette tasse de café, ces pommes cézanniennes, ce balancier à boules et cette sculpture qui tressaillent au son de la musique sont le fruit d'effets spéciaux (cf ce making of). Numérisés, pixellisés, digitallisés, incrustés, ces objets contaminent le réel. Ils ne sont que des images illusoires, qui, comme le visage de Trent Reznor, tentent d'imposer leur régime de vérité au milieu d'une nuée de signes trompeurs. "There is no fucking you, there is only me".Eric VernayLes 10 meilleurs clips de Fincher :#1 Nine Inch Nails "Only" (2005)#2 Roy Orbison - "She's a mistery to me" (1989)#3 Madonna "Bad Girl" (1993)#4 The Rolling Stones "Love Is Strong" (1994)#5 Johnny Hates Jazz "Heart Of Gold" (1988)#6 Aerosmith - Janie's Got A Gun (1989)#7 Iggy Pop - Home (1990)#8 Rick Springfield "Bop 'Til You Drop" (1984)#9 Michael Jackson - "Who Is It" (1993)#10 A Perfect Circle "Judith" (2000)