A tombeau ouvert, le film singulièrement singulier de Martin Scorsese [critique]
Gaumont Buena Vista International

A (re)voir ce soir sur Arte, dans le cadre du cycle consacré au cinéaste.

La 7e chaîne fête le 80e anniversaire de Martin Scorsese, cette semaine. Après avoir programmé Silence, ce dimanche, place ce soir à l'un de ses films les plus méconnus, A tombeau ouvert. Sorti en avril 2000 en France, il suit Nicolas Cage en ambulancier new yorkais, souffrant de burn out et hanté par ses fantômes du passé alors qu'ils traverse la ville de nuit pour aider diverses victimes.

A sa sortie, le film avait reçu trois étoiles dans Première, et l'auteur de la critique, Olivier de Bruyn, regrettait qu'il ait fait un flop aux Etats-Unis. Il se demandait si tout n'était pas parti d'un malentendu : après avoir tourné Kundun au Tibet, et alors que son projet de biopic de Dean Martin était en train de tomber à l'eau (à cause de son scénario trop compliqué, du propre aveu du cinéaste, qui travaillait dessus avec Nick Pileggi depuis des années), il devait filmer Gangs of New York, mais comme les négociations avec ses comédiens prenaient du temps, il a pu mettre en scène en vitesse ce thriller mental. Un retour aux sources pour le réalisateur de Taxi Driver ? Le cinéaste retrouvait ici "son territoire urbain préféré", ainsi que le scénariste Paul Schrader. Mais la comparaison s'arrête là, expliquait d'emblée la critique en présentant A tombeau ouvert comme une oeuvre "entre cauchemar éveillé et chemin de croix dérisoire, (qui) a l'incontestable mérite de court-circuiter les rassurants points de repères et les conventions, y compris les conventions scorsesiennes."

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Une fois ces bases posées, il s'intéressait au personnage principal de cette histoire, Frank, homme névrosé qui "confond tout et son contraire" depuis qu'une jeune toxicomane est morte dans ses bras. "Le film prend soin de refléter le monde tel qu'il le perçoit mal, d'où une vision des bas-fonds de New York irréaliste, décalée..." Joué par un excellent Nicolas Cage, qui venait d'être libéré du Superman de Tim Burton (pour connaître l'histoire de ce projet avorté, c'est ici), et qui devait par contrat tourner un film avec la Warner Bros à la place, s'y perd dans "un univers mental où l'enfer et le paradis ne font plus qu'un, où l'instinct vital frôle l'angoisse de la mort, le laid le beau, la compassion l'autodestruction, l'horreur le fou rire neurasthénique." Et c'est là que Scorsese fait preuve de son brio pour la mise en scène, "il déjoue l'attente, frustre le spectateur, ricane, musarde dans des zones improbables au risque de perdre. Et signe son film le plus détraqué (...) un grand film impoli et imparfait (le sublime y côtoie l'inutilement insistant) que l'on n'attendait pas de lui. singulièrement singulier !"

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En plus de cette critique enthousiaste, Première publiait quelques mots de Martin Scorsese racontant sa vision du projet à Gérard Delorme. Il expliquait ainsi avoir adoré le livre éponyme de Joe Connelly, que lui avait envoyé le producteur Scott Rudin, et encore plus la version adaptée par Schrader, qui a notamment modifié sa fin. Jugeant que ce projet était "important au stade de sa vie", parce qu'il montrait New York sous toutes ses facettes, n'éclipsant pas "les pauvres, ni les gens qui souffrent""nous sommes si absorbés que lorsque nous entendons une sirène dans la rue, nous ne voulons pas y penser", regrettait-il. "Les journaux new-yorkais y ont vu un film d'époque parce qu'ils pensent qu'on ne voit plus de pauvres et de sans-abri dans la rue. Tant mieux pour eux si ça peut les rassurer, mais c'est faux. (...) J'ai grandi avec eux et j'en ai été affecté émotionnellement et spirituellement pendant des années. (Dans le Lower East Side), il y avait aussi les Italo-Américains, le crime organisé et l'Eglise. Toute ma vie, j'ai essayé de convoquer tous ces éléments. C'est pourquoi ce livre m'a attiré." Il reconnaissait enfin avoir été épuisé par le tournage effectué principalement de nuit : "J'aimais beaucoup ça quand j'étais jeune, mais plus maintenant. Nous avons vécu dans la rue pendant 75 nuits, dont plus de 40 tournées en extérieur, dans les quartiers dégradés de New York. (...) On a quand même réussi à capter l'atmosphère de la ville, ça valait le coup."


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