Moonage Daydream
Universal Pictures

Réalisateur d’excellents documentaires musicaux consacrés aux Stones ou à Kurt Cobain, Brett Morgen explose les frontières du genre avec Moonage Daydream, un trip aux confins de la galaxie Bowie.

Première : Faut-il être fan de David Bowie pour apprécier Moonage Daydream ?

Brett Morgen : Pas forcément, non. Sa figure d’artiste représente une sorte de manuel pour s’inventer une vie enrichissante au 21ème siècle. Son parcours et sa philosophie doivent nous permettre de tirer des leçons applicables à nos vies quotidiennes, qu’on soit prof, plombier, n’importe quoi. Mais les fans hardcore trouveront largement de quoi satisfaire leur appétit. À vrai dire, je ne le vois pas comme un film sur David Bowie, encore moins sur David Jones (son vrai nom – ndlr). C’est un film sur, ouvrez les guillemets, "Bowie". Pas un documentaire, pas une biographie, plutôt une expérience de planétarium. Il fallait inventer un nouveau genre.

Comme Bowie lui-même l’aurait fait…

Comme Bowie quand il est parti à Berlin, oui. Au début, je ne savais pas par quel bout le prendre, je me noyais face au magma d’archives inépuisable que j’avais rassemblé sur mon ordinateur. Je me disais qu’il aurait fallu un réalisateur expérimental à la barre, un Stan Brakhage, un Chris Marker… Et puis le 5 janvier 2017, j’ai eu une crise cardiaque terrible. Mon cœur a cessé de battre pendant trois minutes, j’ai été dans le coma pendant une semaine. La conséquence directe de la vie hors contrôle que j’avais menée jusque-là. Beaucoup trop de boulot, beaucoup trop d’ego… J’ai trois enfants, j’ai commencé à réfléchir au message que je leur aurais laissé si j’y étais resté. "Travaillez dur" ? Ouais, c’était ce qui m’avait mené droit à l’hôpital Cedars-Sinaï ! J’avais besoin de réapprendre à vivre, à respirer. Et David était là, dans mon disque dur pour me servir de guide. Alors j’ai quitté ma zone de confort. 

Il n’y a pas de dates, pas de repères temporels dans le film, comme si on flottait hors du temps…

Le film est un miroir et un kaléidoscope. L’interview de Bowie que j’ai trouvé la plus inspirante, c’est quand il est interrogé par Mick Rock (grand photographe rock des 70s), trois mois avant la sortie de Ziggy Stardust. Mick lui dit : "Alors, David, ton truc SF, là, Ziggy, de quoi ça parle exactement ?" Et Bowie répond : "Oh, je me contente de lancer des mots : « créature de l’espace », « rayon laser », et ils rempliront les blancs, ils inventeront leur propre histoire". Je me suis dit : voilà mon film ! Je vais les laisser remplir les blancs.  

Si Bowie peut être un guide pour le 21ème siècle, c’est parce qu’il a contribué à l’inventer ?

Il a créé la bande-son du 21ème siècle, oui. Et il le disait dès 1971. En tant que produit de la déconstruction des grands systèmes de croyance opérée par Einstein, Freud, Nietzche, Picasso, il a inventé la bande-son du chaos. Si tu n’évolues pas avec le chaos, si tu n’acceptes pas la nature éphémère des choses, si tu restes rigide, tu es foutu. Bowie a été un pionnier de l’Internet, un prophète numérique. Il a utilisé les machines avant tout le monde. Il a été l’une des premières personnalités à parler publiquement de bisexualité et de fluidité de genre. Son message résonne encore plus fort aujourd’hui. En 2021, d’après Spotify, il était l’artiste décédé le plus écouté de la planète. On l’écoute un peu plus chaque année. L’ère Bowie ne fait que commencer.

Propos recueillis par Guillaume Bonnet et Frédéric Foubert

Moonage Daydream, de Brett Morgen, actuellement au cinéma.