Eternal Sunshine of the Spotless Mind
United International Pictures (UIP)

Michel Gondry nous raconte les coulisses de son film culte, avec lequel il entretient un rapport légèrement compliqué.

Grand film mélancolique sur la nature de l’amour, porté par Jim Carrey et Kate Winslet en apesanteur, Eternal Sunshine of the Spotless Mind est sorti le 19 mars 2004 aux États-Unis. Au moment de l’arrivée dans les salles du Livre des solutions, en septembre dernier, nous rencontrions Michel Gondry afin qu’il nous raconte sa filmographie. La place manquait dans le magazine pour s’étendre sur Eternal Sunshine of the Spotless Mind : voici donc tout ce qu’il nous a dit sur cet objet culte, toujours considéré comme son chef-d’oeuvre. Même si ça le gonfle un peu.

L’origine du film

"Un ami, l’artiste plasticien Pierre Bismuth, me parle un jour d’un projet d’art contemporain : envoyer des cartes à des gens, sur lesquelles serait écrit : 'Vous avez été effacé de la mémoire de telle personne, merci de ne plus la contacter.” On a tracé une histoire en deux pages à partir de ce concept génial, et je l’ai présenté à Charlie Kaufman, que j’ai rencontré grâce à Spike Jonze. La nuit, avec Spike, on allait dans une boutique de vidéos de Los Angeles où les magnétoscopes étaient branchés sur des écrans gigantesques. On se montrait nos clips, on faisait un peu la compète en fait ! J’avais écrit La Science des rêves avant et puis, au dernier moment, Eternal Sunshine s'est déclenché. J'avais plus envie de le faire La Science des rêves qu'Eternal Sunshine, mais je ne tenais pas à ce que Spike me pique le film (Rires.

Kaufman voulait qu’à chaque scène, les acteurs se mettent à jouer de moins en moins bien pour signifier l’effacement de leur mémoire. Super malin, mais au moment le plus dramatique, on aurait perdu l’émotion ! Alors j’ai gardé l’idée en changeant progressivement la vitesse du son, afin que les voix des personnages soient très légèrement désynchronisées. Et j’ai inséré de manière insidieuse des morceaux de la scène suivante.

J’avais storyboardé des transitions incroyables : par exemple, il y en avait une où l’on voyait, dans le passé, une voiture en train de rouler sur un lac gelé. Je voulais que dans le plan d’après, le véhicule soit dans le lac, emprisonné dans la glace. Donc mon idée était de réellement faire plonger dans un lac une bagnole, retenue par un câble, et d’attendre qu’il gèle pour faire le plan. On m'a dit : 'Non Michel, tu délires complètement là.' Et à quinze jours du tournage, la sentence est tombée : la production m’a demandé de revoir l’intégralité des transitions que j’avais imaginées, parce qu’on ne pouvait tout simplement pas se les payer. J’étais désespéré… J’ai appelé Charlie Kaufman, qui m’a dit que c’était peut-être un mal pour un bien. Que je devrais peut-être revoir toutes les transitions de manière plus organique, plus simple, moins technique. Et que ça rendrait les choses plus viscérales. Il avait raison et il a bien fait de m’encourager à voir ça comme quelque chose de positif."


 

Le tournage et ses imprévus

"Je me suis battu sur des tas de choses, comme ce jour où la plage de Montauk était recouverte de neige. Immaculée. Personne n’avait marché dessus. On me disait qu’on ne devrait pas tourner, parce que ça n’allait pas raccorder le lendemain, la neige n’allait plus être là. Alors j’ai insisté pour faire les trois scènes prévues la même journée, et ça donne des plans sublimes dans le film. En fait, j’ai appris à m’adapter et à profiter de ce qui n’est pas contrôlable."

Les rapports conflictuels avec Jim Carrey

"On a beaucoup parlé de ma relation avec Jim Carrey sur le tournage. J’ai notamment en tête cette interview d’un producteur il y a quelque temps, dont le titre était trompeur. Il y a eu des prises de tête avec Jim, mais on ne s’est pas quittés fâchés. Sinon, il ne m’aurait pas demandé de retourner avec lui. Je crois que c’est surtout ma méthode qui le déstabilisait : je démarrais les prises de vue à contretemps, juste un peu trop tôt. J’avais remarqué que tout le monde se figeait quand je disais ‘’action’’, alors que dès que la caméra s’arrêtait, tout devenait fluide. Donc j'ai décidé de laisser tourner entre les prises, en empêchant les costumiers, les coiffeurs et les maquilleurs de s'agglutiner sur l'acteur à la fin de la scène. Quand le comédien n’est pas prêt, il est dans la réaction, il ne pense pas, et c’est généralement plus intéressant.

Au fil des films, j’ai d’ailleurs décidé de ne plus donner de direction pour la première prise. Dès l’instant où l’on donne une voie à suivre, c’est figé dans la tête de l’acteur et il ne va plus s’autoriser à proposer autre chose. Ou alors il va le faire, mais dans une forme de lutte contre lui-même et le réalisateur.

Une fois, j’ai menti à Jim sur Eternal Sunshine. C’était une scène sur un quai où il y avait de la neige, de la vraie neige. On avait déjà fait le plan serré, le plan large et deux ou trois prises du plan très large. On était pressés par le temps car on devait filer à un autre décor avant qu’il ne fasse nuit. Le lendemain, la neige aurait fondu. Et au milieu de la prise - on était si loin qu’on ne vouait même pas la bouche de Jim bouger -, j'ai vu qu'il n'y avait plus de pellicule. J’ai fait comme si de rien n’était. À la fin, il vient me voir : 'Alors, c'était comment ?' 'Super, on a tout ce qu'il faut, on peut bouger'. Ce que je ne savais pas, c’était que son bodyguard/assistant, un mec massif, était allé derrière le moniteur et avait vu que le film avait décroché. Il l'a bien sûr dit à Jim… ‘'Michel, tu es sûr que tu as filmé toute la scène ?'. J’ai dû avouer… J’ai essayé de lui expliquer mais je n’avais aucune excuse. Je me suis dit que plus jamais je ne mentirai sur un plateau. C’est une sensation horrible que de se faire prendre en train de mentir.

Bien plus tard, la série Kidding, s’est engueulés quelques fois. Il me criait dessus devant tout le monde et moi je répondais encore plus fort. Je lui ai dit : 'Si tu me gueules dessus, je ne peux pas t'aimer. Et si je ne peux pas t'aimer, je ne peux pas te diriger.' Et là, il m'a fait un câlin et s'est excusé (Rires.)"

Kate Winslet, Michel Gondry et Jim Carrey sur le tournage d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind
Entertainment Pictures / Alamy / Abaca

L’héritage d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind

"On me ramène toujours à Eternal... On en discutait un jour avec Audrey Tautou, qui est une super bonne amie, et elle me disait : 'Bah oui Michel, c’est ton Amélie Poulain à toi.' J’avoue que ça m’ennuie un peu ! Je m’en sens dépossédé, je ne sais plus vraiment si c’est moi qui l’ai fait ce film… À force d’être vénéré à ce point, il s'est un peu vidé de moi, d'une certaine manière. Je n’arrive plus à avoir un regard clair là-dessus. Je me souviens quand j'ai fait le premier clip de Bjork : c'était un tournant dans ma carrière de clipper et pendant dix ans, j'ai ramé pour qu'on arrête de me parler de cette vidéo. Et puis c'est enfin arrivé. Sauf que c'est pas la même échelle pour les films. Peut-être que dix ans, ça correspond à cent ans avec le cinéma ?"