Jacques Dutronc rétrospective 2023
Gaumont /Albina Production/ C.C.F.C/ Les Films 13/Les Films la Boëtie

Klaus Kinski, Jean-Luc Godard, Sophie Marceau, Isabelle Adjani, Michel Piccoli, Jean-Pierre Marielle... Jacques Dutronc s'est frotté à de grands cactus du cinéma.

Pour ses 80 ans, Jacques Dutronc, l’éternel détracteur des Playboys, s’est penché sur sa carrière d’acteur, survenant tout aussi par hasard que sa vocation de chanteur. Il ne cache rien, il dit tout ! Dans ses mémoires, intitulées Et moi, et moi, et moi et publiées aux éditions Le Cherche Midi, l’iconique parisien exilé en Corse raconte avoir pu entamer une carrière d’acteur en 1973 avec Antoine et Sébastien, grâce à son ami et célèbre photographe Jean-Marie Périer

"Je n’ai jamais pensé être acteur, pas plus que je n’avais pensé devenir chanteur. J’avais tourné des scopitones, où il suffisait que je chante en play-back [...] mais ça n’avait rien à voir avec le cinéma, où la caméra peut être cent fois plus impressionnante qu’un  public de mille personnes."

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Le challenge était de mise. Il fallait décoller cette étiquette de chanteur provocateur pour se glisser dans la peau de personnages parfois hauts en couleur. 

"À l’époque, le cinéma méprisait les chanteurs qui tournaient des films. Ca sentait trop l’envie de "faire un coup". Et puis tout le monde trouvait les chanteurs mauvais acteurs. [...] En général, en France, il est quasi impossible d’être acteur et chanteur en même temps. Tu es chanteur, tu passes à la télévision, 5 millions de spectateurs te regardent. Au cinéma, on se déplace pour te voir, c’est différent. Pour la chanson, les mecs allument leur télé : t’es chez eux, si tu les emmerdes ils te zappent. Au cinoche, ils t’ont choisi, ils ont payé pour te voir; et toi, tu es payé pour qu’ils viennent te voir."

L'important c'est d'aimer (1975), Andrzej Żuławski.

D'après lui, c'est L'important c'est d'aimer d'Andrzej Żuławski qui lui a permis de se sortir de sa chrysalide de chanteur pour éclater en tant qu'acteur : "Je ne me suis jamais vraiment senti acteur, mais ce film m’a tout de suite sorti de l’image du chanteur qui fait du cinéma. J’ai décollé l’étiquette [...] On m’a d’ailleurs beaucoup complimenté pour ce rôle, comme, plus tard pour Van Gogh. Les compliments, je m’en méfie, je n’y crois qu’à moitié, dans le meilleur des cas. Les fleurs, c’est bon pour les cimetières", a-t-il déclaré.

Lugubre et impudent, le film raconte l'histoire de Servais Mont (Fabio Testi), un jeune photographe qui rencontre sur un plateau de tournage Nadine Chevalier (Romy Schneider), un actrice contrainte de tourner dans des films pornos pour survivre. Le photographe tombe amoureux de cette actrice à la dérive, mariée à Jacques (Jacques Dutronc), un être fantasque et fragile. 

"Jouer, c’est aussi ne pas abandonner ses camarades. Sans improviser, donc, j’ai été plus spontané que réfléchi. Il vaut mieux ne pas trop gamberger, d’ailleurs, quand tu es devant un excessif comme Żuławski.", a écrit Jacques Dutronc.

L'important c'est d'aimer
Albina Productions

À l'occasion du tournage de L'important c'est d'aimer, Jacques Dutronc a rencontré Klaus Kinski : "Kinski était un acteur vrai : c'était un exhibitionniste hors du commun, que ses excès même rendaient époustouflant. C'était un véritable génie, totalement dément, imprévisible, furieux.Jacques Dutronc a de nouveau collaboré avec Andrzej Żuławski en 1989 dans Mes nuits sont plus belles que vos jours, un drame romantique avec Sophie Marceau.

 

Mado (1976) de Claude Sautet

En 1976, il tourne dans Mado avec Michel Piccoli. Le film est réalisé par Claude Sautet, qui n'est autre que son cousin. 

"Claude Sautet est mon cousin - la mère de mon père était la sœur du sien. [...] Il a fini par m’engager sur Mado – le seul film que j’aie fait avec lui. Le tournage a été pénible : deux mois à patauger dans la gadoue, souvent la nuit, avec toutes les difficultés techniques que l’on peut imaginer."

Mado, raconte l'histoire de Simon Léotard (Michel Piccoli), un promoteur immobilier de 49 ans qui se retrouve ruiné par un concurrent malhonnête. Grâce à Mado, une jeune prostituée, Simon parvient à se venger. On retrouve les problématiques phares du cinéma de Claude Sautet, à savoir, l'homme face à la vie et les dilemmes qu'elle occasionne. Ici, c'est Simon qui doit se poser les bonnes questions et prendre les décisions sur sa situation privée et professionnelle. Le metteur en scène de César et Rosalie invoque le contexte de crise économique naissante ainsi que la crainte de voir les concurrents prendre l'ascendant. 

"J’ai partagé la loge de Piccoli. Dans ses personnages, il avait le charme effrayant des faux calmes. Il ne riait jamais : il souriait, et d’une façon bien à lui, ambiguë, qui se présageait toujours le pire. C’était un de ces sourires qui se transformaient, au moment le moins attendu, en colère foudroyante : cette violence rentrée, le spectateur la redoutait, avant d’être soulagé de la voir jaillir."

Mado (1976)
FILMS LA BOETIE

L'Entourloupe (1980) de Gérard Pirès.

"Il y avait deux types de grands acteurs dans les années 1970 : les acteurs à moustache, et Piccoli. L’art de Marielle ou de Rochefort, par exemple, provenait de leurs moustaches en grande partie, car il ne s’agissait pas seulement d’en porter, mais de leur donner du sens : elles ne racontaient pas toutes la même histoire.", a déclaré Jacques Dutronc dans ses mémoires.

 Adapté de Nos intentions sont pacifiques (1977) de Francis Ryck, L'Entourloupe est une satire qui maraude autour de la fonction de VRP. L'intrigue raconte l'histoire de deux traîne-savates, Olivier (Jacques Dutronc) et Roland (Gérard Lanvin). Vivant d'expédients, ces deux voyous tentent l'aventure de vendeur d'encyclopédies auprès de Castelard (Jean-Pierre Marielle), un expert en vente à domicile sans scrupule. C'est dans l'environnement du Poitou que Valérie, leur amie, débarque pour semer la pagaille. L'Entourloupe est une comédie sociale et grinçante, baignée dans une ambiance seventies savamment illustrée par des dialogues signés Michel Audiard.

"La seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir discuté avec Marielle, pas une seule fois. Il avait quand même des choses à dire, et moi à apprendre. À la place, je buvais du whisky avec Lanvin. [...] J’ai eu des tas de fois l’occasion de mieux connaître des gens avec qui je travaillais, de leur dire toute mon admiration, je n’ai jamais osé. Je me contentais du cadre professionnel, j’étais trop gêné pour aller au-delà. Je ne voulais pas les déranger.", regrette l'interprète de L'opportuniste.

Jaques Dutronc - Filmographie
Pan Européenne Edition/Les Films 13/Haut et Court/ Gaumont

Van Gogh (1991), de Maurice Pialat.

"Au début des années 1990, j'étais pressenti pour jouer Van Gogh, mais Daniel Auteuil, Jean Hugues Anglade et Lambert Wilson également. Et tous les comédiens que je croisais à cette époque s'étaient teints en roux et prenaient des cours de dessin."

Après son passage à l'asile, Vincent Van Gogh élit domicile à Auvers-sur-Oise, chez le docteur Gachet. Les derniers jours du peintre laissent entrevoir le trouble psychologique allié aux relations conflictuelles qu'il entretient avec son frère Théo. Chaque plan est méticuleusement sculpté par Maurice Pialat, connu pour son exigence - dans Van Gogh, il dénature l'écorce du réel afin de l'exposer ingénieusement au regard du spectateur. 

"Żuławski, il fallait presque se mettre en porte-jarretelles pour le séduire ; Maurice Pialat, pour le séduire, il fallait presque lui casser la gueule. Et pour le vexer, il fallait le flatter. S'il m'avait proposé un rôle, après Van Gogh, je lui aurais d'abord dit non, pour lui faire plaisir ; puis oui, pour le satisfaire." 

Récompensé du César du meilleur acteur lors de la 17e cérémonie des César, Jacques Dutronc avoue avoir beaucoup travaillé et même s'être jeté à corps perdu dans cette version intime du célèbre peintre :

"J'ai travaillé comme un fou pour ce film. Le tournage a duré huit mois. J'ai perdu douze kilos. Les journalistes en ont conclu que j'étais subclaquant. Dix fois, ils ont annoncé ma mort. [...] Ce rôle ne m'a donc pas rapporté seulement un César, mais le cancer, la polio, le sida et la tuberculose. Voilà ce qu'on dit de vous quand vous travaillez dur. En France, les rumeurs deviennent bien vite des tumeurs.", conclut l'interprète césarisé de Van Gogh.

Van Gogh (1991) Maurica Pialat/ Jacques Dutronc
Gaumont/ D.R

 

Jacques Dutronc a découvert sa vocation : il dit avoir remplacé le verre de scotch par les scénarios. Malgré l'opportunité manquée avec Steven Spielberg, l'éternelle opportuniste a eu l'occasion de rencontrer de grands cinéastes comme Jean-Luc Godard dans Sauve qui peut (la vie) avec Isabelle Huppert et Nathalie Baye. Dans ses mémoires, il s'est penché sur sa rencontre avec le réalisateur :

"Souvent d’ailleurs, je trouvais ses réparties supérieures à ses images, son personnage plus grand que ses films [...] Dans son genre, que l’on aime ou non son travail, c’était vraiment le meilleur. C’était un grand chef d’orchestre. Évidemment, comme il oubliait de vous donner la partition, il valait mieux être bon musicien."

L'acteur chanteur a tourné dans pas moins de 20 films en 10 ans. En 1977 il donne la réplique à Isabelle Adjani dans Violette et François de Jacques Roufio, et confie avoir été impressionné par son jeu : "J'étais impressionné par la concentration d'Isabelle, sa fixité. Elle regardait les gens, immobile, les yeux écarquillés. Je demandais : "Elle va me bouffer ou quoi ?" "

Ces précieuses anecdotes (et plus) sont a retrouver dans les mémoires de Jacques Dutronc : Et moi, et moi, et moi

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