The Killer Bullet Train
Netflix/Sony

Des questionnements existentiels et des détails vestimentaires lient le thriller de David Fincher à Bullet Train.

Un tueur à gages se met à questionner le bien-fondé de sa mission… C’est l’argument de dizaines de films dans l’histoire du cinéma. Mais si on ajoute que le hitman en question porte un bob, alors le nombre de films que ce pitch évoque se réduit drastiquement. On en compte quand même deux de récente mémoire : Bullet Train et The Killer.

Le premier est un blockbuster d’action réalisé par David Leitch, sorti à l’été 2022, dans lequel Brad Pitt joue un assassin professionnel nommé Coccinelle, qui se pense victime d’un mauvais karma et entend renoncer à la violence – il refuse d’emporter un flingue avec lui dans le train à grande vitesse où se déroule sa nouvelle mission. Le second est un thriller Netflix signé David Fincher, dans lequel Michael Fassbender joue un flingueur de haut vol qui se retourne contre ses employeurs et prend lui aussi ses distances vis-à-vis de la violence – non sans tuer un paquet de gens au passage.

Stylistiquement, les deux films sont aux antipodes l’un de l’autre (une tarantinade très colorée d’un côté, un thriller glacé et millimétré de l’autre) mais ils se rejoignent thématiquement via leurs personnages principaux, qui se posent tous deux des questions sur leur profession et leur place dans le monde, questions qu’ils expriment dans un mélange assez comique de ruminations philosophiques, d’introspection psychanalytique et de maximes semblant sorties d’un manuel de développement personnel. Etonnamment, ces deux hommes dont on ne connaît pas la véritable identité, Coccinelle et le Tueur, partagent donc également un goût pour le port du bob.

Michael Fassbender- The Killer
Netflix

 

"Tu empiètes sur notre terrain !", a dit David Fincher à son pote Brad Pitt quand l’acteur lui a expliqué quel couvre-chef il comptait porter dans Bullet Train (comme l’a raconté le cinéaste dans une interview au New York Times). On sait que les deux hommes, qui ont tourné trois films ensemble, sont très proches, et on imagine qu’ils se donnent régulièrement des nouvelles des projets sur lesquels ils travaillent. Fincher a donc halluciné quand il s’est rendu compte que Pitt développait pour Coccinelle un look similaire à celui de son Tueur – le réalisateur de Seven entendait sans doute avoir l’exclusivité de cette dégaine "dorky" (ringarde), conçue pour aller à l’encontre du cliché de l’assassin international tiré à quatre épingles. L’idée était d’imposer un nouveau type de tueur à gages, sapé comme "un touriste allemand", une sorte d’homme invisible et passe-partout qui "se serait acheté des fringues entre sa descente d’avion et l’agence de location de voitures".

Les parallèles vestimentaires et "existentiels" entre les deux personnages sont d’autant plus remarquables que dans le script originel de Bullet Train, comme David Leitch l’expliquait à Première l’année dernière, Coccinelle n’était pas du tout caractérisé ainsi :

"À l’origine, j’imaginais le personnage de Coccinelle comme un tueur assez classique. Ce qui m’intéressait, c’était d’emmener la « physicalité » de Brad Pitt vers une forme d’action héritée de Buster Keaton et de Jackie Chan. Mais lui est arrivé avec énormément de propositions, à commencer par cette idée d’un personnage qui se croit maudit, malchanceux, qui est en thérapie et qui ne parle qu’avec des formules de développement personnel. Il a aussi imaginé le look du personnage : le bob, les lunettes… Il voulait que Coccinelle soit vraiment un outsider, qu’il porte cet accoutrement un peu bas de gamme. C’était brillant, parce que ça offrait la possibilité d’un arc narratif à son personnage, pas seulement émotionnellement mais aussi physiquement."

Brad Pitt dans Bullet Train
Sony Pictures

 

C’est donc Pitt qui, à partir d’une feuille blanche, a véritablement inventé la personnalité et l’allure de Coccinelle. Et s’est retrouvé ainsi sur le terrain de jeu de Fincher. Hasard ? Coïncidence ? Coup du destin ? Complot fashion ? N’oublions pas que Brad Pitt, via sa société de production Plan B, était associé dès 2008 au développement de The Killer – à l’époque, il était question que Fincher réalise l’adaptation de la BD de Matz et Jacamon pour Paramount. Avec un certain Brad Pitt en tête d’affiche… "Mais Brad a trouvé ça trop nihiliste", a expliqué Fincher à Rolling Stone. "Trop nihiliste", c’est aussi le genre d’objection que pourrait faire Coccinelle, un personnage idéaliste et tout sauf cynique.

Alors, quoi ? Brad Pitt s’est-il servi de The Killer pour alimenter ses idées sur Bullet Train ? A -t-il conçu Coccinelle comme un moyen de dialoguer avec le personnage qui obsédait à la même époque son ami Fincher ? Ou juste pour faire une bonne blague à son pote en lui grillant la politesse (la production de Bullet Train a commencé un an avant celle de The Killer) ? Le Tueur de Fincher évoque de nombreux tueurs de l’histoire du cinéma (Le Samouraï de Melville, Le Flingueur de Michael Winner…) mais on peut aussi voir en lui et Coccinelle une sorte de yin et de yang, deux personnages-reflets, inversés. Ce qui a du sens venant des gens qui ont fait Fight Club ensemble, film de doublure et de personnages en miroirs, où des films s’infiltrent dans d’autres films via des images subliminales et piratées. C’est encore plus logique quand on se souvient que David Leitch, le réalisateur de Bullet Train, était la doublure cascade de Brad Pitt sur Fight Club… Un vertige théorique est sur le point de nous saisir. Arrêtons-nous là avant de nous mettre à travailler du chapeau. Ou du bob, en l’occurrence.