Toutes les critiques de Dune : deuxième partie

Les critiques de Première

  1. Première
    par Sylvestre Picard

    Génocide : le mot, comme il convient à sa nature radioactive, est partout dans l’air du temps. Celui de notre monde réel. Et il revient sans cesse dans Dune: Deuxième partie. Paul Atréides voit enfin l’avenir grâce à ses pouvoirs, et il sait que s’il accepte de devenir le messie des Fremens, il devra donner l’ordre de commettre le plus grand génocide jamais vu. Et ça lui fait peur. Et Chani, l’amour de sa vie, ça lui fait peur aussi -elle sait qu’il est un faux messie, un Elu bidon, un nouvel oppresseur qui ne sera que massacres et génocides. Génocide, génocide, le mot est répété -alors que celui de "jihad", présent dans le bouquin de Frank Herbert, a été soigneusement effacé des films de Denis Villeneuve. Trop connoté, alors que le terme "fedaykin" pour qualifier les guerriers d’élite fremens est toujours là. On ne voudrait pas emmener Dune 2 sur le terrain d’une actualité trop présente et trop dangereuse pour s’en tirer sans bobo, mais c’est ainsi : dans Dune : Deuxième partie, tout gravite autour du génocide. Le mot y devient mythologique. Les images des massacres futurs, et tout Dune 2 d'ailleurs, évoquent une des images les plus terrifiantes, les plus belles et les plus frappantes -en même temps qu’une des plus ignorées- du cinéma de science-fiction des dernières années : le flashback du génocide extra-terrestre d’Alien: Covenant de Ridley Scott.

    Impossible de ne pas penser non plus à Gladiator en voyant Feyd-Rautha (Austin Butler, aussi charismatique que vous l’imaginez) massacrer des prisonniers dans une immense arène harkonnen. Impossible de ne pas penser à Kingdom of heaven (une réplique s’est même glissée dans Dune 2 : "le monde a fait des choix pour nous", qui fait écho à "the world always decides" du magnum opus scottien sur les Croisades) devant la grande danse de la religion et de la violence qui s’étale sur l'écran. On peut jouer longtemps au bingo scottien devant Dune : Deuxième partie. Et c’est normal. Padawan de Ridley Scott (qui avait failli faire Dune au début des années 80), Villeneuve emprunte à son maître son écrasante esthétique pubarde et son discours profondément agnostique. Le contraste est là. Là où le premier Dune, film d’exposition et de mise en place, reposait avant tout sur un effet d’échelles parfaitement planant (au gros plan sur le visage de Chalamet répondait un plan immense d’astronefs brutalistes), il n’y a plus qu’une seule échelle dans cette Deuxième partie. Il y a du vertige là-dedans, bien sûr : des engins immenses, des arènes colossales, des dunes infinies -mais tout se joue dans un petit coin de désert dont on ne décollera vraiment qu’à la toute fin, pour s’en aller commettre d’infinis génocides.

    D’accord, Dune : Deuxième partie servira de buffet à volonté pour les haters du premier film, et de Villeneuve en général, tant le réalisateur continue de creuser son style -ornithoptères filmés comme des hélicos Apache, guerriers d’élite sapés comme des Spec Ops, au son de la partition ambient/épique de Zimmer- mais impossible de ne pas voir que le cinéaste a bel et bien accompli sa mue en devenant le plus parfait disciple du réalisateur de Blade RunnerDune 2 pourrait aussi s’envisager sous bien d’autres angles -comment Timothée Chalamet et Zendaya deviennent de vraies stars de cinéma pour de bon, lui après Wonka, elle après Spider-Man, pour ne citer que le plus évident- mais le fait est que la vraie star du film, c’est bien le cinéaste lui-même : comment il est parvenu à mettre son nom aussi haut que son blockbuster, mettant facilement au tapis toutes les fins de série soldées des gros studios. C’est comme ça que Dune 2 s’envisage le mieux, de toutes façons. Au bout de ses (presque) trois heures de film, Dune : Deuxième partie devient, à l’instar d’Oppenheimer l’an dernier, un immense morceau de cinéma pensé et investi, hyper excitant, un film réellement dirigé par une vision -ces formules peuvent vous paraître sonner creux mais en ces temps où le blockbuster hollywoodien morcelé et atomisé, éparpillé entre mille créateurs et artisans, semblait préparer l’avènement de l’IA et de ses œuvres-instantanées, Dune : Deuxième partie ressemble à un messie venu du ciel. Alors que Sir Ridley incarne l’Ancien testament, Denis brandit le Nouveau. Amen.