Toutes les critiques de Massacre À La Tronçonneuse

Les critiques de la Presse

  1. Fluctuat

    « Massacre à la tronçonneuse », un titre inoubliable qui reste marqué d'une aura indélébile pour quiconque est né au milieu des années 70. Voilà qu'il ressurgit près de 30 ans plus tard sous la forme d'un « remake ». Aux commandes, un inconnu nommé Marcus Nispel et, à la production, Michael Bay, grand pape de l'école Bruckheimer, commissaire en chef de la vulgarité.
    Pourquoi faire un remake de l'insurmontable film de Tobe Hooper ? Comment en devenir le digne successeur, et surtout qu'apporter de plus à cette oeuvre charnière qui détermina et modifia toute une vision du monde et des images depuis sa naissance ? Absurde, mercantile, sans intérêt ? Peut-être, mais sans doute que non. En 1974, Massacre à la tronçonneuse (auquel on préférera son titre original The Texas Chainsaw Massacre) venait s'inscrire au moment charnière du Watergate, lors de cette perte de l'innocence, période où le peuple américain prit conscience qu'on pouvait lui mentir et les images aussi. Qu'en reste-t-il aujourd'hui à l'heure où la déréalisation du monde est une constante ? Laissons la question sans réponse. Tobe Hooper, lorsqu'il choisissait de s'inspirer d'un fait réel, jouait sur le fait divers mais sans nous donner les clés. Il voulait nous faire croire à une sorte de réel biaisé. A partir de sa formation de cinéaste documentaire et de son inspiration de La nuit des morts vivants de Romero, il s'était dirigé vers certains partis pris esthétiques radicaux et inédits pour construire Massacre à la tronçonneuse. Ce fût l'avènement de l'oeuvre la plus dérangeante, efficace, forte, et surtout admirablement bien conçue (sa bande sonore exceptionnelle, litanie obsessionnelle admirablement structurée) qu'aucune oeuvre de complaisance, comme Cannibal Holocaust n'a jamais su dépasser.La grande force du film était de saisir le mouvement implacable de l'horreur et la folie dans un espace où l'humain se transformait en une proie, un animal que l'on chasse, saigne et dépèce d'une main armée d'une tronçonneuse (et ce, sans presque une seule goutte de sang à l'écran). L'identification ne pouvait plus se faire à partir des personnages, mais strictement d'un point de vue humain. Nous assistions aux événements sans jamais apercevoir la moindre chance ou possibilité d'une échappatoire. L'action se déroulait comme s'il s'agissait de documenter l'horreur, rendre la peur et l'étrangeté réaliste. Le film ne jouait pas sur des schémas classiques d'actions, de réactions ou de situations, il nous enfermait dans un lieu où nous assistions aux faits avec une distanciation nouvelle. Nous étions les spectateurs prisonniers d'une mise en scène qui ne se donnait plus à voir, ne jouait plus de ses effets, ne pensait plus à son efficacité pour susciter la peur. Le récit semblait se dérouler de lui-même sans que rien, du plan au découpage en passant par le montage, ne puisse venir nous rappeler qu'il s'agissait encore d'un cinéma au sens classique du terme. Tobe Hooper venait d'inventer un style, et son sens scrupuleux du détail (lieux, lumière, objets) allait marquer l'inconscient du monde des images. Chez lui, il n'y avait aucune pornographie, aucun désir de filmer des tripes à l'air. Il savait bien que le Grand guignol du gore servait à détendre l'oeil, nous faire sourire, et que ce qu'il fallait privilégier c'était la peur de voir, ce qui se cache, ce sur quoi il est trop dur de mettre un nom ou une idée.Que reste-t-il de tout ça dans ce remake ? A la fois tout et rien. Massacre à la tronçonneuse 2003, c'est surtout des traces, un constat, et puis un film d'horreur réussi. Les traces, ce sont encore ces détails, des objets, une lumière (de Daniel Pearl, déjà chef opérateur sur le film d'Hooper) et tout l'intérieur de la maison. Ces quelques motifs de salissure, crasse, moisissure (créateurs d'ambiance) sont autant d'images séminales issues du premier film et passées par 30 ans de cinéma d'horreur, de télévision, de clip vidéo death métal ou autre Marylin Manson, sites Internet tendance ogrish.com, et enfin jeux vidéo (Silent Hill entre autres mais surtout). En ce sens, Bay, Pearl et Nispel modernisent, actualisent d'une certaine manière leurs souvenirs de Massacre à la tronçonneuse par les archétypes de notre (post) modernité. Si l'image en 35mm Fujicolor est ici plus chromée, chaleureuse, contrastée, moins dérangeante que le 16mm granuleux de 1974, source d'un plus grand effet de proximité, elle ne cesse aussi de jouer sur une imagerie des années 70, tout en l'adoucissant (puisqu'elle n'est que détour).L'ouverture du film propose une bonne proposition de ces idées. D'une part, la reconstitution bidon, façon Blair Witch Project ramène à ces reportages télé montrant des sujets à partir de faits divers rejoués grossièrement, portant autant sur d'obscurs serial killers que sur le sauvetage de bébé par le petit voisin de palier. De l'autre, dès l'apparition des personnages, d'une musique envahissante et de références ouvertement marquées sur les prémices du déclin de la libération sexuelle, le film oriente son regard vers le passé à grand renfort de clichés sur l'époque. Et il suffit d'admirer la plastique délicieuse et séduisante de Jessica Biel, souvent filmée en contre-plongée, pour saisir le décalage immédiat de son physique, trop jeune, moderne.Mais peu importe que le film se serve de quelques stéréotypes, puisqu'il en joue bien. Le constat qu'il nous propose à voir au travers de la mutation des images primitives du premier film montre une sorte d'objet quasi terminal. Une espèce de référence ultime nous disant malgré elle que, désormais, un film tel que celui de Hooper est devenu irréalisable. Et plus encore : qu'il ne pourrait être refait (le remake en est la preuve paradoxale), que nous en avons peut-être trop vu.Si enfin ce remake de Massacre à la tronçonneuse est réussi, c'est qu'à sa manière, incorruptible au genre, il ne cherche jamais la distanciation post-moderne façon Scream. L'horreur, la peur restent toujours le moteur de l'action. Certes est abandonnée la lenteur du début de l'original qui, pendant près de 45 minutes, mettait en place les lieux et les personnages avant de sombrer brutalement et sèchement dans un cauchemar qui ne prendrait jamais fin (le film dure bien après la projection). Ici, les personnages sont contraints et forcés par les évènements ; c'est la mise en scène et l'effet recherché qui sont privilégiés. C'est plus brutal, massif, moins ambigu, troublant et effrayant, mais vaguement plus pervers aussi (Jessica Biel, véritable objet traqué de manière compulsive et libidineuse). Le film préfère aussi l'identification aux personnages, véritable assurance sur la mort grâce à un point de vue plus sécurisant (c'est un film). La folie devient une caricature (festival de gueules à la Gummo d'Harmony Korine), on n'y est plus plongé. On explique la psychologie de l'inoubliable et effroyable Leatherface (il faut donner un visage humain, rationnel, aux monstres), dont l'histoire se trouve même parfois un peu embarrassé par le personnage du shérif. Et surtout il faut que le désir de vengeance soit assouvi, accompli.Massacre à la tronçonneuse 2003 est donc moins une variation possible à partir de l'expérience esthétique et formaliste du premier (malgré l'excellent travail de Daniel Pearl) qu'un bon film de genre à partir du souvenir de ses images. Il y a moins à voir qu'à regarder, malgré quelques moments haletants où l'on retient encore son souffle comme des « kids » et où notre peur d'un maniaque armé d'une tronçonneuse nous rappelle que le genre n'est pas encore totalement passé par la rayon boucherie d'un hypermarché.Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chainsaw Massacre)
    Un film de Marcus Nispel
    Avec : Jessica Biel, Eric Balfour, Jonathan Tucker
    Sortie nationale le 21 janvier 2004[Illustrations : DR Metropolitan Film Export]
    - Consulter les salles et séances du film sur le site Allociné.fr
    - Le site officiel du film